Criminologie de la confiance et Good Lives Model (GLM)
Erwan Dieu, Estelle Zinsstag, Tony Ward
Le cadre général d’une Criminologie basée sur la confiance
Beaucoup de criminologues s’inquiètent de l’obsession sécuritaire régnant actuellement dans les discours publics et les politiques criminelles. Une politique basée principalement sur le contrôle, la répression et l’exclusion risque d’entraîner une escalade sans issue positive. Walgrave (2021) examine les raisons de cette préoccupation et explore les bases existantes sur lesquelles la criminologie pourrait préserver sa mission sociétale, celle de contribuer à une société inclusive et émancipatrice. Selon Schuilenburg (2021), cette perspective se retranscrit dans la manière de penser la securitas, à la manière théorique hobbesienne en voyant dans l’homme un animal guidé par des émotions négatives et donc à sévir pénalement, ou à la manière de l’éthologue et expérimentaliste De Waal observant dans les espèces l’intérêt pour le care, la confiance et la coopération. Si la première vision guida la criminologie traditionnelle, la seconde pourrait être un second souffle à l’image des espaces urbains partagés comme le Leeszaal et De Woonkamer van Meneer de Burgemeester aux Pays-Bas, une approche productive d’occupations créatives pour le renforcement des capacités locales comme source d’une sécurité dite « positive ».
La réhabilitation positive comme application de la Criminologie de la confiance
L’hypothèse de base du Good Lives Model (GLM) est que les humains sont des agents intentionnels qui s’efforcent de répondre à leurs besoins dans un environnement particulier. Cette hypothèse, qui insiste dès lors sur les ressources de la personne, son apprentissage, son adaptation, ses besoins, en fait un exemple réhabilitatif d’une criminologie fondée sur la confiance. Le GLM est par nature un modèle basé sur l’agency, c’est-à-dire une approche compréhensive centrée sur les mécanismes d’action intentionnelle de l’individu. Dans cette perspective, Heffernan, Ward, Dieu et Lievens (2021) proposent une lecture appliquée de la psychologie positive avec le Modèle global de l’Agency (dit PAM) de Ward. Cette proposition intègre ainsi l’agency dans le champ du GLM et de la criminologie afin de contribuer à la compréhension pratique de l’infraction et de la récidive d’un individu. Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte les éléments criminogènes de la situation du sujet (les facteurs de risque dynamiques – FRD). Comme le rappellent Heffernan et Ward (2021), les FRD sont des concepts pratiques, nécessaires, mais ne peuvent se suffire. Les FRD ont été initialement identifiés et validés par la recherche scientifique statistique. Ils sont des prédicteurs corrélationnels qui indiquent une plus grande probabilité de récidive. Ils sont devenus des cibles d’intervention qui visent à réduire la probabilité de récidive et occupent désormais deux rôles distincts qu’ils confondent pourtant, la prédiction et la conceptualisation. Cela suppose à tort que les corrélations en elles-mêmes puissent fournir des réponses au fonctionnement (causes et déclencheurs) pour lesquelles les auteurs récidivent et ce qui les fera arrêter. Heffernan et Ward (2021) explorent d’abord ce que sont les FRD et pourquoi ils ne peuvent pas à eux seuls guider l’accompagnement pour réduire les actes associés à la récidive. En tant que modèle criminologique basé sur la confiance, le GLM enrichit le modèle PAM de l’agency et permet une intégration des facteurs de risque dynamiques dans un raisonnement global du cas, de son analyse structurée et de l’accompagnement individualisé.
Les expériences d’adversité vécus durant l’enfance et les besoins criminogènes
Le contexte pénitentiaire accueille un grand nombre d’auteurs d’infraction soumis à des injonctions ou obligations de soin. Malgré de grands apports dans le domaine réhabilitatif des programmes de gestion du risque, ils n’ont pas apporté de réflexions ou solutions concernant les souffrances cliniques (aspects soin) chez ces mêmes auteurs d’infraction, et de fait, pas de modèle pouvant établir un lien entre le thérapeutique et le réhabilitatif. Si la compréhension de l’auteur sous un angle clinique prenant en considération les victimisations subies est avancée en criminologie, les études dites « ACE » (expériences d’adversité vécus durant l’enfance) nous apprennent qu’il ne s’agit pas uniquement de question d’ordre purement thérapeutique. En effet, ces éléments seraient corrélés à la question du risque de récidive. La difficulté réside dans la manière de prendre en charge les problématiques cliniques des auteurs d’infraction, corrélées aux besoins criminogènes, tout en limitant la confusion des identités professionnelles (Soin / Justice). Pour les professionnels de la réhabilitation, Dieu et Al Joboory (2021) mettent en lumière le modèle réhabilitatif du Good Lives Model (GLM) complémentaire au RBR, qui permet de cibler au mieux les besoins primaires et secondaires des sujets. S’agissant du soin, ils discutent l’intérêt d’une psychothérapie EMDR pour les personnes en obligation ou injonction de soins. A travers une combinaison alliant GLM / RBR dans le domaine réhabilitatif d’une part, et GLM / EMDR pour le volet thérapeutique d’autre part, Dieu et Al Joboory (2021) examinent de quelle manière les auteurs d’infractions sont capables d’intégrer les expériences d’adversité vécues durant leur enfance (ACE) et dans quelle mesure cette intégration pourra impacter positivement la qualité de vie, le processus de désistance et la diminution du risque de récidive.
L’application d’une approche de criminologie positive dans les cas spécifiques : le cadre de la santé mentale (médico-légale) et du désaccord des personnes
La description d’une approche traditionnelle de la réhabilitation médico-légale est une tâche épineuse étant donné le manque de publications. Reflétant le fait que la santé mentale (en médico-légale) est une spécialité relativement nouvelle, la documentation relative au traitement des personnes judiciarisées ayant un trouble mental a eu tendance à se concentrer sur l’application et l’évaluation d’interventions spécifiques auprès de cette population plutôt que sur la description et l’évaluation des programmes de réhabilitation dans leur ensemble. En conséquence, selon Barnao (2021), de nombreuses questions importantes restent sans réponse. Par exemple, quels sont les objectifs de ces programmes ? Quels types d’interventions sont inclus et comment sont-elles sélectionnées ? Quels cadres théoriques sous-tendent les interventions qui sont utilisées ? Et dans quelle mesure ces théories aident elles les praticiens à réhabiliter les personnes ? Selon Barnao (2021), le GLM propose un cadre conceptuel qui concilie des perspectives théoriques, éthiques et pratiques possiblement opposées (Soin / Justice). Toujours dans un intérêt pratique de compréhension des motivations des personnes et de l’intervention des professionnels, Henrard, Mormont et Corneille (2021) proposent des réponses concrètes à l’accompagnement des auteurs d’infraction à caractère sexuel (AICS) dits en « désaccord ». Henrard, Mormont et Corneille (2021) recommandent aux professionnels de recourir à deux outils cliniques d’intervention cohérents avec une approche Good Lives Model (GLM). Le premier outil d’intervention issu du GLM est un inventaire des souhaits et des préoccupations personnelles, destiné au travail avec les AICS en général. Le second outil propose une intervention spécifique auprès des AICS qui seraient en « désaccord ». Ce second outil est un guide d’investigation du désaccord ainsi qu’un guide d’entretien clinique à destination des professionnels, dans une logique GLM.
L’assurance d’une bonne pratique du Good Lives Model (GLM) et de la criminologie
Bien que les dernières décennies aient vu une prolifération de protocoles de traitement fondés sur des données probantes, moins d’attention fut accordée aux liens cliniques fondés sur des données probantes. Comme le questionne Hirschelmann (2021), par quel mécanisme ou processus une personne sort-elle de la délinquance ? La criminologie de la confiance témoigne d’une évolution des regards et des pratiques sur le plan sociétal, scientifique, professionnel et individuel. La recherche sur la désistance (processus de sortie de la délinquance) devient un sujet présentant des enjeux majeurs pour la prévention de la récidive, des troubles de santé mentale, mais surtout le bien-être de notre société. En cela, la théorie du GLM met l’accent sur l’implication de tous les éléments externes et internes qui renforcent le capital humain et font de la désistance un choix de vie positif et formulé consciemment. Assister à des formations, lire des articles de revues, et même la pratique diligente ne peut garantir l’adhésion à une pratique ou la fidélité à un modèle. La plupart des praticiens souhaitent fortement mettre en œuvre le GLM avec intégrité. Beaucoup de professionnels ont demandé des conseils pour assurer la mise en œuvre la plus efficace possible. Dans certains cas, les praticiens ont ouvertement modifié leurs pratiques en quelque chose qu’ils « appellent » le GLM, mais qui ne l’est pas nécessairement. Malheureusement, une mise en œuvre erronée risque de compromettre l’intégrité des programmes de traitement fondés sur des données probantes, ce qui peut entraîner des taux plus élevés de récidive. Prescott et Willis (2021) recommandent l’utilisation d’un outil concret pour surveiller la fidélité des professionnels au GLM.