La cristallisation polymorphique dans le chocolat
Alain Rossel | Ingénieur EPFZ
La cristallisation polymorphique joue un rôle crucial dans la qualité des produits comme le chocolat, en particulier pour éviter le blanchiment gras résultant de la migration de graisses vers la surface. Ce phénomène lié à des cristaux dits « instables », peut dégrader l’apparence sans affecter le goût. Le processus de tempérage, ou précristallisation, permet de contrôler la formation des cristaux « stables » dans le beurre de cacao, mais il reste délicat et nécessite une gestion précise de la température. Les méthodes de mesure automatiques, basées sur l’exothermie, offrent une solution efficace pour garantir un produit homogène et prévenir les défauts esthétiques, bien que les méthodes artisanales soient encore utilisées par certains chocolatiers.
La formation ou genèse de cristaux, de même que la fusion de toutes les formes cristallines, nécessitent un échange thermique. La mesure ou analyse des cristaux est subtile, particulièrement à leur naissance, c’est-à-dire dès l’apparition de leur première forme « solide ».
L’exothermie ou l’endothermie sont mesurables en laboratoire ; dans l’industrie, ces évaluations restent toujours délicates, particulièrement pour les matières organiques dites polymorphes.
La DSC (Differential Scanning Calorimetry) est précise, coûteuse, mais peu appliquée industriellement ; en laboratoire de recherche fondamentale, elle a permis de mieux analyser et comprendre le polymorphisme. En rhéologie, la variation de viscosité, à ce stade initial, est très faible et donc peu significative.
Le blanchiment gras du chocolat
Les exemples dans les industries sont nombreux ; mais observons en particulier les chocolats et autres produits de confiserie.
De nos jours, il est rare, mais encore trop fréquent, de rencontrer des pertes de qualité, telles qu’un aspect dégradé par un voile blanc. Il s’agit essentiellement d’un phénomène de migration des graisses vers la surface avec une structure extrêmement fine en réseau, ce qui donne une couleur blanchâtre peu appétissante.
Ce sont essentiellement les cristaux dits « instables » qui migrent dès les premiers jours ou après quelques semaines ou quelques mois. Cette perte de qualité n’affecte que peu le goût ni les arômes du chocolat, mais a immanquablement des conséquences négatives sur l’image et la commercialisation.
De tout temps, tant les artisans chocolatiers que les industriels se sont efforcés de maîtriser l’opération ultime de fabrication : c’est-à-dire la précristallisation ou tempérage du beurre de cacao.
Une attention permanente est indispensable pour cet échange de chaleur subtil, nécessaire à la genèse ou à la naissance des seuls cristaux « stables », à l’exclusion de toutes les autres formes cristallines.
Pour ce faire, il faut tenir compte de tous les facteurs de risque de blanchiment, en particulier et principalement :
- La température de stockage en cuves à température élevée.
- L’opération en continu (pratiquement impossible dans l’artisanat !).
- Le refroidissement avec un delta T° faible et optimisé.
- Le moulage / enrobage / extrusion dès que la précristallisation optimale est contrôlée. À ce stade, une très faible portion de la totalité des cristaux potentiels est « naissante ». Les cristaux sont en cours de croissance, de structuration, de multiplication.
- Une précristallisation sera optimale si la grande majorité des premiers cristaux sont « stables ». La mesure du degré de tempérage est cependant plus quantitative que qualitative.
Le tempérage (précristallisation)
Le refroidissement des masses grasses est une phase transitoire délicate, bien connue des confiseurs. Afin d’éviter tout risque de perte de qualité due à une cristallisation instable, le polymorphisme du beurre de cacao (ou d’autres graisses mélangées) est difficile à contrôler à cause d’un manque d’homogénéité ou d’une distribution anarchique de la température durant l’échange thermique (refroidissement).
Les artisans chocolatiers ont traditionnellement évalué cette phase du tempérage selon l’aspect plus ou moins brillant. Les spécialistes portent avec le doigt sur la lèvre... méthode subtile, mais peu industrielle !
Le stockage de tous les différents chocolats se prolonge de façon aléatoire dans des cuves calorifugées, souvent de grande capacité. La température des masses grasses devrait être suffisamment élevée (env. 55 °C) pour garantir une absence totale de cristaux. Une variation de la température de stockage sera certainement un risque de blanchiment gras à plus ou moins long terme.
L’opération de tempérage est un refroidissement en continu dans un échangeur de chaleur à plateaux rotatifs : la tempéreuse. Pour des raisons de sécurité, une phase préliminaire de chauffage de la masse, afin de fusionner les « cristaux perturbateurs » éventuellement présents, est indispensable, notamment en cas de stockage prolongé à trop basse température. Le refroidissement est ensuite assuré par un échange thermique avec un faible écart de température parfaitement contrôlé.
Il est important de rappeler que la température de sortie de la tempéreuse est « diffuse » autour de la valeur mesurée et régulée ! Les premiers cristaux sont de même « anarchiques ».
De plus, une pratique très largement répandue consiste à ajouter une phase de réchauffage final, ceci dans le but (illusoire !) de « refondre » les cristaux indésirables.
Il est donc difficile de garantir l’absence de risque de blanchiment gras ( fat bloom)

Comparaison des courbes de cristallisation du beurre de cacao (masse grasse polymorphique) et de l'eau, illustrant les étapes de croissance des cristaux et le risque de "fat bloom". (Illustration Alain Rossel)
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