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20 mai 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 03/2020 | Robotique

De la grenouille au premier robot biologique

Georges Pop

Des chercheurs américains annoncent être parvenus à créer de petits robots programmables à partir de cellules souches de grenouille. Conçus à l’aide d’un algorithme évolutif, puis fabriqués en laboratoire, ces premiers robots biologiques sont capables de se déplacer, de se régénérer et de se « concerter » pour pousser ou manipuler, seuls ou de concert, un objet. Ils pourraient, à l’avenir, effectuer diverses opérations médicales : détecter un cancer, éliminer des substances toxiques présentes dans l’organisme ou délivrer des médicaments.
Les premiers robots biologiques ont vu le jour aux États-Unis. Conçus par des scientifiques des universités du Vermont (UMV) et Tufts, près de Boston, ces organismes vivants mesurent quelques millimètres de large, sont programmables, capables d’effectuer des tâches simples, peuvent survivre pendant plusieurs semaines sans nourriture, ou même se régénérer en soignant leurs éventuelles blessures. « Il ne s’agit pas d’un robot traditionnel, ni d’une nouvelle espèce animale. Il s’agit d’une toute nouvelle forme de vie, entièrement programmable, une sorte de machine vivante », précise l’ingénieur en robotique et expert en bioinformatique de l’UMV, Joshua Bongard, dans une étude parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Science (PNAS).
 
Les « xenobots » sont les premiers robots biologiques capables de se déplacer, de transporter des objets, de se coordonner et de se régénérer. (© UVM)

 

Des cellules de grenouilles africaines
Ces petits organismes ont été conçus à partir de deux types de cellules souches de Xenopus laevis, une grenouille d’origine africaine, connue aussi sous le nom de Xenope du Cap ; il s’agit d’une espèce largement utilisée, de longue date, dans les laboratoires comme organisme modèle en biologie du développement. Aussi ces premiers robots biologiques ont-ils pris le nom de « xenobots ».
Les chercheurs expliquent avoir d’abord prélevé des cellules du cœur et de la peau sur des embryons de batraciens. Après quoi, grâce à un algorithme informatique évolutif, le superordinateur Deep Green de l’Université du Vermont a pris le relais pour imaginer des milliers de combinaisons de cellules. L’assemblage cellulaire le plus probant a ensuite été reproduit manuellement par une équipe de l’Université Tufts, sous la direction du microchirurgien Douglas Blackiston. L’opération a été réalisée sous un microscope, en laboratoire, à l’aide de micro-pinces et d’une électrode de 13 μm.


Les premiers robots biologiques ont été conçus à partir de deux types de cellules souches de Xenopus laevis, une grenouille d’origine africaine, connue aussi sous le nom de Xenope du Cap.
 

Des formes inexistantes dans la nature
À l’issue de leurs nombreuses tentatives et manipulations, les chercheurs ont obtenu des organismes de 650 à 750 μm, un peu plus petits qu’une tête d’épingle, capables de se mouvoir de façon autonome, mais aussi de se coordonner pour manipuler ou transporter des objets. Associées dans des architectures inexistantes à l’état naturel, les cellules ainsi programmées de la grenouille africaine ont commencé à travailler de façon concertée et complémentaire. Celles prélevées sur la peau ont adopté une structure inactive, alors que celles issues du muscle cardiaque se sont contractées et ont contribué à la stimulation d’un mouvement horizontal ordonné.
Chaque « xénobot » est doté d’une cavité lui permettant de s’emparer d’un objet et de le déplacer. Selon Joshua Bongard, la conception de cette sorte de poche constitue « une étape vers l’utilisation d’organismes conçus par ordinateur pour la distribution intelligente de médicaments ». Outre cette fonction, ces « créatures » pourraient aussi, un jour, décontaminer des zones radioactives, collecter les microplastiques dans les océans et les mers, ou encore se déplacer dans les artères pour y nettoyer les accumulations de plaque. « Nous pouvons penser que ces robots vivants pourront, à l’avenir, accomplir de nombreuses tâches que d’autres machines ne peuvent pas réaliser », estime pour sa part le biologiste Michael Levin de l’Université Tufts.
 
De possibles dérives éthiques
Selon les scientifiques qui ont contribué à la création de ces « xenobots », leurs recherches doivent aussi contribuer à une meilleure compréhension du code morphogénétique, qui fournit une vue complète de l’organisation des structures vivantes, mais aussi de la façon dont elles gèrent l’information entre elles.
Cette avancée, puis celles qui suivront, conduiront inévitablement à des bouleversements technologiques, mais aussi à des manipulations susceptibles de produire des dérives éthiques. « Cette crainte n’est pas déraisonnable, puisque jouer dans des systèmes complexes qu’on ne comprend pas peut avoir des conséquences imprévisibles », conclut Michael Levin.
 
Joshua Bongard
Department of Computer Science
Université du Vermont
Tél. +1 802 656 4665
Josh.bongard@uvm.edu