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09 juillet 2025 | La Revue POLYTECHNIQUE | Capteurs

Des ondes sonores pour explorer la mécanique quantique

À l’EPFL, une équipe de chercheurs a conçu un métamatériau acoustique capable de simuler certaines dynamiques de la physique quantique — mais sans en subir les contraintes. Rencontre avec Mathieu Padlewski, doctorant au Laboratoire d’ingénierie des ondes, qui nous explique l’analogie étonnante entre acoustique et quantique.

Mathieu Padlewski (à gauche) et Hervé Lissek (à droite), scientifique senior du groupe du professeur Fleury devant le métamatériau acoustique développé au Laboratoire d’ingénierie des ondes de l’EPFL. © EPFL / Alain Herzog

La mécanique quantique régit le monde des particules — un univers où les objets n’existent pas toujours dans un seul état, mais dans plusieurs à la fois. Ce principe, connu sous le nom de superposition, défie notre intuition. Dès qu’on le mesure, tout bascule : un seul état survit, les autres s’effondrent. L’expérience du chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant tant que personne ne regarde, l’a popularisé — sans vraiment le simplifier. Mais si observer, c’est déjà perturber, comment comprendre ces phénomènes autrement ? Pour contourner ce paradoxe, les chercheurs du Laboratoire d’ingénierie des ondes à l’EPFL ont choisi une voie originale : reproduire certaines dynamiques quantiques à l’échelle macroscopique, à l’aide d’ondes sonores.

Simuler le quantique… en l’écoutant

Mathématiquement, les états quantiques évoluent comme des ondes de probabilité. C’est cette correspondance qui a inspiré les chercheurs à établir une analogie physique : utiliser des ondes acoustiques pour simuler, manipuler et observer des dynamiques quantiques dans un système tangible et contrôlable. Contrairement aux systèmes quantiques, ces vibrations sont mesurables, accessibles, reproductibles. L’acoustique devient ainsi une passerelle inattendue, aussi bien expérimentale que conceptuelle.

Mathieu Padlewski, auteur d’une thèse sur le sujet, explique : « Quand on pince une corde de guitare, elle vibre à plusieurs fréquences : une fondamentale, et des harmoniques supérieures. Ce que l’on entend, c’est une superposition d’états sonores ». Grâce au son, ce qui restait abstrait dans la mécanique quantique devient soudainement perceptible.

Comprendre l’effet skin

Au cœur de l’expérience, un phénomène encore peu connu du grand public : le non-Hermitian skin effect (NHSE). Il survient dans des matériaux où les échanges d’énergie sont asymétriques — on dit qu’ils sont non-Hermitiens. Dans ces conditions, les ondes cessent de se propager librement : elles se concentrent sur les bords, ou à une interface bien précise. « C’est comme si on tapait légèrement sur une surface : l’onde se diffuse. Mais si on tape fort, toute l’énergie se concentre au centre », décrit Mathieu Padlewski.

Le NHSE avait déjà été observé, notamment en optique ou en électronique, mais dans des régimes linéaires. L’innovation lausannoise réside dans l’introduction d’une non-linéarité de couplage : ici, la propagation dépend directement de l’intensité du signal.

Visualisation en temps réel des modes de vibration mesurés dans la chaîne de résonateurs. © EPFL / Alain Herzog

Un métamatériau acoustique programmable

Le dispositif expérimental s’appuie sur un métamatériau acoustique actif constitué de seize modules identiques, des « atomes sonores », chacun combinant haut-parleur, microphone et électronique de contrôle. Le couplage entre ces résonateurs est entièrement programmable.

À faible volume, les ondes traversent le réseau. Mais dès que l’intensité augmente, elles se concentrent à un endroit précis du dispositif, comme attirées par une force interne. « On peut configurer le système pour que son comportement varie selon le signal injecté. Chaque résonateur introduit une asymétrie contrôlée, et la non-linéarité est assurée par une boucle de rétroaction électronique ». Résultat : un effet de localisation dynamique, visible, contrôlable — une simulation quantique… sans quantique.

Une autre manière de penser la physique

Les perspectives d’application dépassent la recherche fondamentale. Cette capacité à rediriger activement l’énergie pourrait mener à des matériaux acoustiques intelligents : insonorisation adaptative, capteurs dynamiques, ou simulateurs physiques inspirés du quantique. La capacité à traiter des états non séparables dans un cadre classique laisse entrevoir des applications inédites.

L’approche marque un changement de paradigme : plutôt que de miniaturiser toujours plus, les chercheurs font le choix inverse — amplifier l’échelle pour rendre visibles des dynamiques invisibles. « L’acoustique permet de mesurer et de manipuler des états superposés sans les perturber. C’est concret, palpable, programmable ».

Un calcul analogique inspiré du quantique

Ces recherches pourraient préfigurer une nouvelle génération de dispositifs hybrides, à mi-chemin entre onde, matière et information. En redonnant un support physique aux concepts quantiques, elles rendent possible un calcul analogique configurable et plus intuitif. « On pourrait imaginer un ordinateur analogique basé sur les ondes sonores, capable de traiter des états non séparables comme le ferait un ordinateur quantique », suggère le chercheur.

Une chose est sûre : à l’heure où les technologies émergentes redéfinissent les frontières entre le réel et le numérique, l’acoustique s’impose comme un terrain approprié pour repenser la physique — et peut-être, le calcul.