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25 février 2012 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2012 | Électronique

Des ordinateurs sobres et quantiques: la révolution est imminente

Une électronique 100 fois moins gourmande en énergie? Grâce à un phénomène quantique appelé l’effet tunnel, des microplaquettes («microchips») d’un genre nouveau pourraient débarquer dans nos téléphones mobiles dès 2017. Sous la plume d’un chercheur de l’EPFL, la revue Nature publie un exposé de synthèse* sur cette technologie.
Un ordinateur actuel, ce n’est pas moins d’un milliard de transistors dans le seul processeur central. Autant de petits interrupteurs qui s’activent et se désactivent, fournissant les fameuses instructions binaires – des 0 et des 1 - à l’origine de nos courriels, de nos lecteurs MP3, de l’affichage de vidéos ou des mouvements du pointeur de la souris.
Pour la recherche et l’industrie, la consommation électrique des transistors est l’un des nerfs de la guerre. La prochaine révolution devrait s’appeler tunnel-FET. Une technologie qui tire parti d’un phénomène quantique, désigné sous le nom d’effet tunnel. A l’EPFL, mais aussi dans les laboratoires d’IBM Zurich ou du CEA-LETI (Centre de recherche appliquée en microélectronique et en technologies de l’information, à Grenoble), les recherches vont bon train. Dès 2017, la physique quantique s’invitera dans nos ordinateurs pour en diminuer la consommation, jusqu’à un facteur de 100. Dans le cadre d’un dossier spécial de la revue Nature consacré au silicium, Adrian Ionescu, chercheur à l’EPFL, signe un compte rendu des avances sur le sujet.

Schéma d'une résistance magnétique à effet tunnel
(Image - CC)
 
Des transistors qui exploitent une bizarrerie quantique
Un transistor, c’est en quelque sorte un interrupteur à électrons. La technologie actuelle, dite à effet de champ, utilise une tension électrique, qui induit un canal d’électrons, qui active le transistor. Une technologie qui touche actuellement à ses limites, notamment en termes de consommation.
La technologie tunnel-FET repose sur un principe fondamentalement différent (cf. fig.). Dans le transistor, deux «chambres» sont séparées par une barrière d’énergie. Dans la première patientent des bataillons d’électrons – le transistor est désactivé. Une tension électrique leur donne l’énergie nécessaire pour traverser la barrière et passer dans la seconde chambre: le transistor est activé.
Habituellement, l’effet tunnel est connu pour perturber le fonctionnement des transistors. Selon la théorie quantique, certains électrons passent la barrière interdite, même s’ils ne possèdent apparemment pas l’énergie suffisante. En diminuant la largeur de cette barrière, il devient possible d’amplifier cet effet quantique et d’en tirer profit – la puissance électrique nécessaire au transit des électrons est drastiquement diminuée, ainsi que la consommation en état de veille.
 
Une industrialisation imminente
«En changeant le principe du transistor classique à effet de champ par l’effet tunnel, nous pouvons diminuer la tension électrique des transistors de 1 V à 0,2 V», explique Adrian Ionescu. Pratiquement, cette baisse de la tension permettra de diviser la consommation électrique jusqu’à un facteur 100. Les puces de nouvelle génération combineront technologie classique et tunnel-FET. «Les prototypes actuels, d’IBM ou du CEA, ont été mis au point dans un cadre pré-industriel. Dès lors, on peut raisonnablement imaginer une production de masse aux alentours de 2017.»
Les micropuces à effet tunnel-FET seront particulièrement intéressantes dans le domaine de l’électronique mobile. Elles permettront d’en améliorer significativement l’autonomie. «Pour l’instant, nous ne parlons pas encore de la mettre en œuvre dans des supercalculateurs ou des centres de données», explique Adrian Ionescu. «Mais cette technologie permettra sans problème d’effectuer des tâches courantes, comme décoder une vidéo ou surfer sur Internet.»
 
Une technologie essentielle pour un grand projet européen
Pour le chercheur, directeur du projet Guardian Angels (cf. La Revue POLYTECHNIQUE 2011-8), la technologie tunnel-FET est sans l’ombre d’un doute le prochain grand saut technologique dans le domaine des microprocesseurs. «Dans le projet Guardian Angels, nous avons notamment pour mission de trouver des solutions à même de diminuer la consommation des processeurs. Le tunnel-FET est la prochaine révolution qui nous permettra d’atteindre cet objectif.»
IBM et le CEA-LETI font également partie du projet Guardian Angels. Retenu par l’Union européenne parmi six finalistes, ce projet rassemblant universités et industries pourrait se voir gratifié d’une subvention d’un milliard d’euros. Son but est de concevoir des assistants personnels électroniques ultra-miniaturisés et autonomes en énergie. La technologie tunnel-FET figure parmi les premières grandes étapes de la feuille de route du projet.


* Adrian M. Ionescu1 and Heike Riel  (2011), Tunnel field-effect transistors as energy-efficient electronic switches, Nature, 479: 329-337. doi:10.1038/nature10679