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16 novembre 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2018 | Énergie

Des réacteurs innovants à base de sphères de combustible

Comme tous les domaines de la technique, la technologie nucléaire ne cesse de se développer. Ainsi, le concept de réacteur haute température à lit de boulets, éprouvé en Allemagne il y a des décennies, connaît actuellement un nouvel essor en Chine. Ce système de réacteur améliore la sécurité déjà très élevée des centrales nucléaires modernes: pour des raisons inhérentes aux lois de la nature, aucune fusion du cœur n’est possible en cas d’accident.
Soixante tranches nucléaires sont actuellement en cours de construction dans le monde. Il s’agit essentiellement de réacteurs à eau légère de la troisième génération, de forte puissance – les successeurs des réacteurs de deuxième génération, comme ceux utilisés en Suisse.

Parallèlement aux grosses installations, ces dernières années ont aussi été consacrées au développement des petits réacteurs modulaires SMR (Small Modular Reactors). On trouve notamment, parmi eux, le modèle HTR-PM (High-Temperature Gas-Cooled Reactor – Pebble Bed Module) chinois. Les deux premiers prototypes de ce système innovant sont sur le point d’être mis en service sur le site de Shidao Bay, dans la province de Shandong.
 
Une nouvelle étape franchie en Chine: livraison des premières sphères de graphite – ici sans uranium. (Photo: CNI 23 Construction Co. Ltd)
 
 

Un réacteur de faible puissance refroidi à l’hélium
Le réacteur HTR-PM refroidi à l’hélium est de faible puissance (100 MW électriques, soit moins d’un tiers de la puissance des réacteurs de Beznau ou de Mühleberg). Sa technologie repose sur des travaux pionniers effectués en Allemagne, ainsi que sur les expériences d’exploitation acquises dans ce pays. Le modèle chinois a été développé à l’Université de Tsinghua, à Pékin, où un réacteur expérimental, l’unité HTR-10, est en exploitation depuis 2003.
Les travaux de la Chine se distinguent par leur procédure pragmatique destinée à minimiser les risques. La température de sortie de l’hélium a ainsi été limitée à 750 °C et, dans un premier temps, aucune turbine à l’hélium n’est utilisée. L’hélium chaud dégagé par le réacteur est conduit jusqu’à un générateur de vapeur qui, comme dans les réacteurs à eau sous pression traditionnels, rejette de la vapeur d’eau qui alimente une turbine. L’installation de démonstration de Shidao Bay doit permettre de développer des solutions en vue d’une utilisation industrielle. Elle devrait entrer en exploitation normale en 2018 et possède une durée de vie de 40 ans.
 
Le principe du réacteur à lit de boulets
Le principe de base du réacteur à lit de boulets réside dans l’intégration continue des sphères de combustible par le dessus de la cuve du réacteur. Le caloporteur hélium circule entre les sphères, dans les interstices. Dans un même temps, les sphères déjà utilisées sont retirées par le dessous, également de manière continue. On mesure leur taux de combustion et elles sont réintroduites dans le cœur du réacteur par le haut. Si la limite de combustion est atteinte, les sphères sont retirées et placées dans le dépôt destiné au combustible usé.
Ce mode d’exploitation a pour avantage qu’il n’est pas nécessaire que la totalité du combustible soit présente simultanément dans la cuve du réacteur. Mais pour des raisons de sécurité, le concept du lit de boulets est adapté uniquement aux petits réacteurs, du fait de ses spécificités techniques et physiques.
 
Un combustible multicouche résistant. (Source: Horst-Michael Prasser, © 2017 Forum nucléaire suisse)
 
 

Des sphères à la place de tubes
Dans les réacteurs à eau légère traditionnels, tels que ceux en exploitation en Suisse, le combustible est placé à l’intérieur de tubes fins de plusieurs mètres de long, reliés en faisceaux pour former des assemblages combustibles. Dans les réacteurs à lit de boulets, le combustible prend la forme d’une sphère de la taille d’une balle de tennis.
Ces sphères comportent plusieurs couches. Les particules dites Triso (tristrucural-isotropic fuel) en constituent les éléments centraux. Il s’agit de microbilles d’environ un millimètre de diamètre, à l’intérieur desquelles se trouve le combustible de dioxyde d’uranium (UO2).
Dans un premier temps, ce noyau de combustible est entouré de plusieurs couches de graphite. Le graphite permet de contrebalancer les changements de volume occasionnés par la formation de nouveaux éléments résultant du processus de fission nucléaire. Sans cela, les microbilles pourraient se briser. Une couche de protection en carbure de silicium, très résistante chimiquement, entoure les microbilles. Elle est elle-même entourée d’une couche composée d’un graphite spécial. Tout cela permet de maintenir confinés les produits de fission radioactifs.
 
Compressés en une balle de tennis
Ces microbilles bien protégées sont ensuite mélangées à de la poudre de graphite et compressées jusqu’à devenir une sorte de sphère de la taille d’une balle de tennis. Elles sont ensuite enrobées dans une nouvelle couche de graphite exempte de combustible.
Le graphite dans lequel sont placées les microbilles agit – en association avec le réflecteur fixé à la paroi du réacteur – comme un modérateur et permet de freiner les neutrons afin de provoquer les réactions de fissions nucléaires. Il en résulte un combustible capable de rester intact, y compris à des températures extrêmes.
Le procédé à la base de la fabrication de ce combustible a été développé en Allemagne, avant d’être repris par des ingénieurs chinois. Les expériences menées avec ce combustible dans les réacteurs expérimentaux en Allemagne, ainsi que les tests effectués sur les sphères chinoises au centre de recherche néerlandais de Petten, ont montré que, si au moment de la fabrication et de l’exploitation, les directives de qualité sont respectées, ce combustible permet de protéger très efficacement contre la libération de matières radioactives, et ce aussi en cas d’accident grave. Cet emballage extrêmement solide présente toutefois l’inconvénient que le retraitement en vue du recyclage du combustible est complexe et que pour une quantité de matières radioactives identique, le volume des déchets est comparativement important.
 
 
Livraison de la première cuve de pression destinée au réacteur de démonstration de Shidao-Bay. (Photo: Xinhua)
 

 
Une fusion du cœur est impossible
La sécurité intrinsèque du réacteur HTR-PM résulte de différentes propriétés:
  • Un caloporteur sans risque.Le caloporteur hélium n’est pas radioactif lorsqu’il traverse le réacteur et la contamination par les matières radioactives est très réduite. Par ailleurs, l’hélium est un gaz rare; il n’est ni nocif, ni inflammable, ni explosif.
  • Une densité énergétique faible.Rapporté à sa production thermique, le cœur du réacteur a un volume élevé. Ainsi, en cas de défaillance, une quantité importante de chaleur peut être stockée temporairement dans le réacteur avant d’être évacuée par voie naturelle.
  • Le processus de fission nucléaire s’arrête automatiquement. Si la température augmente en raison d’une défaillance, le processus de fission nucléaire s’arrête automatiquement. Étant donné que le graphite supporte des températures très élevées, aucune fusion du cœur en raison de la chaleur résiduelle – dite de post-désintégration – n’est possible. Il s’agit là d’un avantage considérable par rapport aux réacteurs à eau légère traditionnels.
Aucun courant de secours n’est nécessaire
Les caractéristiques de sécurité ont été attestées dans la pratique sur le réacteur expérimental AVR de Jülich (cf. encadré), ainsi que sur l’unité HRT-10 de Pékin.
  • L’élévation de la température du combustible en raison d’une défaillance avec perte totale du refroidissement n’occasionne aucune libération significative de matières radioactives.
  • Si de l’eau ou de l’air pénètre dans le réacteur, les réactions chimiques occasionnées se déroulent lentement et peuvent être arrêtées dans les jours ou semaines qui suivent. Aucune explosion d’hydrogène, telle que celle survenue à Fukushima, ne peut se produire.
  • Le réacteur HTR-PM supporte également sans dommage des incidents tels que la perte de l’alimentation électrique externe (la cause de l’accident à Fukushima) ou la perte de la soufflante d’hélium principale. Aucun courant de secours n’est nécessaire.
 
À ces caractéristiques s’ajoute le fait que la température de sortie de l’hélium, de 750 °C, permet un rendement élevé dans le cadre de la production d’électricité et encourage la réutilisation de la chaleur de processus pour l’industrie ou pour alimenter les réseaux urbains de chaleur à distance.
 
 
Agencement d’une centrale nucléaire de 1200 MW composée de deux unités HTR-PM600. Dans une installation standard de ce type, trois modules placés en forme de T , composés de deux tranches nucléaires chacun, entraînent une turbine à vapeur fournissant une puissance maximale de 600 MW.

(© 2017 Forum nucléaire suisse)
 
 

Plusieurs groupes de 200 MW
Le système modulaire HTR-PM peut, au besoin, comprendre plusieurs groupes de 200 MW, jusqu’à atteindre 600 MW. Il s’agit ici de l’installation standard HTRPM600, composée de six réacteurs, soit trois modules, pour un seul groupe turbo-alternateur. Deux installations de ce type fournissent au total une puissance comparable à celle de la centrale de Leibstadt, la plus grande de Suisse.
La Chine s’intéresse tout particulièrement au réacteur à lit de boulets. Un premier site destiné à une installation commerciale est en projet, à Ruijin, dans la province de Jianxi. Il s’agirait de la première centrale nucléaire du pays à être située dans les terres et non sur le littoral.
 
Un type de centrale adaptée aux réseaux isolés
La Chine entend exporter ce type de centrale adaptée aux réseaux isolés, peu développés ou petits, mais aussi à la désalinisation de l’eau de mer. À l’heure actuelle, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Indonésie, mais aussi l’Afrique du Sud, où un projet basé sur une technologie allemande – le Pebble Bed Modular Reactor (PBMR) – est suspendu depuis 2010, ont manifesté leur intérêt pour ce type de réacteur. Aux États-Unis, le ministère de l’Énergie soutient le développement du réacteur Xe-100 de la société X-energy, d’une puissance électrique de 35 MW.
 
L’origine des réacteurs à lit de boulets
Le premier réacteur à lit de boulets fut l’AVR (Arbeitsgemeinschaft Versuchsreaktor) allemand, mis en service en 1967 au centre de recherche de Jülich, près de Cologne. Refroidi à l’hélium, sa puissance électrique était de 13 MW. Il a été arrêté en 1988 en raison d’un problème technique survenu sur les sphères de combustible, mais aussi dans le sillage de l’accident de Tchernobyl.
Les travaux de construction d’un réacteur au thorium à haute température (THTR), refroidi à l’hélium, d’une puissance électrique de 300 MW, ont alors été lancés en 1971. En 1985, l’installation a été pour la première fois connectée au réseau à Hamm-Uentrop, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Mais elle s’avéra trop grande et trop complexe, si bien que de nombreux problèmes techniques survinrent. Tout cela associé aux coûts d’exploitation élevés et au contexte politique négatif pour le nucléaire en Allemagne, entraîna l’arrêt du THTR en 1988.
 
 
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