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06 mai 2019 | La Revue POLYTECHNIQUE 03/2019 | Environnement

Deux contributions qui font froid dans le dos

Michel Giannoni

Le réchauffement climatique et la disparition des espèces qui mettent en danger la survie du genre humain ne font plus guère de doute. Dans le contexte de la mobilisation des étudiants et écoliers du 15 mars dernier et de l’appel réitéré de chercheurs et scientifiques du monde entier, deux articles parus le 21 février dans Le Temps et le lendemain dans Le Monde sont particulièrement angoissants.
Pour l’acteur Philippe Torreton, ancien sociétaire de la Comédie française et ancien conseiller de Paris, l’urgence climatique est telle que la sauvegarde de l’habitabilité de la planète est menacée. Voici quelques extraits de sa contribution parue dans Le Monde le 22 février dernier sous le titre «La survie de l’humanité est en jeu».

 
Je regarde mes enfants et je ne sais pas quoi leur dire. Les rapports d’experts s’empilent et répètent les mêmes constats lancinants: les animaux disparaissent, les contrées sauvages rétrécissent, les glaces fondent de plus en plus vite, les eaux montent, les records de chaleur s’accumulent, les matières premières se raréfient. L’humanité s’engouffre tête baissée dans une impasse et nous le savons tous. […]
Les véritables enjeux sont au niveau des nations et celles-ci ne semblent toujours pas prendre la mesure de ce qui se prépare. Plus personne, pourtant, ne peut ignorer l’urgence absolue d’un changement radical. Alors que l’étau se resserre, les peuples se crispent et les populismes prolifèrent. […]
Nous allons nous déchirer. Ce qui restera de terres viables, de matières premières disponibles, d’eau potable sera âprement disputé. Dans quelques années commencera à germer l’idée qu’une partie de la population mondiale doit disparaître, en laissant faire les famines, les agents infectieux ou même par les armes, si cela ne suffit pas; et l’on expliquera que «c’était eux ou nous».
Les cris d’alarme de personnalités scientifiques et les appels citoyens à un sursaut écologique se heurtent à l’inertie mortifère de nos dirigeants. La survie de l’espèce humaine est en jeu, à une échelle de temps incroyablement courte: la nôtre. Nous portons désormais cette sidérante responsabilité. […]
Il semble évident que nous n’avons plus rien à attendre des partis. Aucune formation n’aura assez de légitimité pour entamer, à elle seule, l’obligatoire mutation. […]
Aujourd’hui, face à l’urgence de changer nos modes de vie, il serait logique, avisé et responsable de rassembler toutes les forces vives du pays, de faire fi des divergences…[…] pour se lancer dans la mère de toutes les batailles: la sauvegarde de l’habitabilité de la planète. Si nous la perdons, nous perdrons toutes les autres. […] Si rien ne change rapidement, c’est la fin de l’espèce humaine. Les plus pauvres disparaîtront en premier, les riches leur survivront quelque temps dans des bunkers dorés. La vie sur Terre continuera, mais sans nous.
À nous de faire comprendre aux partis politiques que nous nous désintéresserons de tout ce qui ne concerne pas l’écologie, qu’il n’y a qu’une réforme à mener, celle du basculement de la société vers une économie respectueuse de l’environnement. Chaque affrontement partisan est de l’énergie gaspillée.
 
L’appel de plus de 260 chercheurs suisses, français et belges dénonçant l’inaction des pouvoirs publics face au dérèglement climatique et appelant à descendre dans la rue le 15 mars à l’occasion de la grève mondiale pour le climat, est tout aussi alarmant. Il a été publié dans Le Temps le 21 février sous le titre: «Appel de chercheurs à la grève climatique du 15 mars». En voici quelques extraits.
 
Nous sommes des scientifiques et universitaires de diverses disciplines. Depuis des années, nos travaux disent des vérités difficiles à entendre sur l’état de la planète et du monde, et en particulier sur la menace existentielle que représentent les bouleversements climatiques et la destruction de la biodiversité. Nous avons en premier lieu fait notre travail: investiguer et documenter, tester des hypothèses et construire des modèles, nourrir à partir de l’évidence scientifique des réflexions sociologiques, économiques, juridiques, historiques et philosophiques, toutes soucieuses des procédures démocratiques.
Nous avons ressenti l’angoisse de chercheurs face à l’abîme auquel les confrontent des dangers inédits: ceux des effondrements en cours et probables de la civilisation thermo-industrielle et de l’épuisement de nos ressources naturelles. Alors, nous avons sensibilisé les décideurs. Nous nous sommes parfois fait conseillers du prince. Nous avons construit des ponts avec les forces organisées dans la société civile, sensibles à la cause écologique. Nous avons alerté mille fois l’opinion publique et les citoyens. Nous avons nourri le débat public, ouvert la science à l’expertise citoyenne. Nous avons tout essayé. Et pourtant…
Le péril ne cesse de croître. Jamais en effet l’abîme n’aura été si béant entre ceux qui tiennent le manche, décident de l’orientation à prendre, et ceux qui souffriront de l’obstination des premiers à ne pas voir l’effritement physique et biologique du monde autour d’eux.
Figurent parmi les premiers, les actuels détenteurs du pouvoir économique, ceux pour qui seul compte de vendre plus, quel que soit ce qui est vendu et ses conséquences; ceux qui maintiennent des procédures biaisées d’évaluation du risque des pesticides et autres substances dangereuses; ceux qui proposent des investissements juteux dans les produits fossiles. […]
Depuis des décennies, via les technosciences, la production de savoir est trop souvent financée par des intérêts privés purement mercantiles, et quand ce n’est pas le cas, les produits de la recherche sont majoritairement voués à alimenter le seul marché, à empoisonner les écosystèmes et à détruire des emplois. […]
C’est toute la jeunesse qui s’angoisse de l’effondrement et se mobilise sur ces sujets, qui voit la civilisation thermo-industrielle et le néolibéralisme débridé les emporter vers le cauchemar climatique et l’effondrement du vivant. […]
C’est devenu pour ceux qui possèdent une parcelle de savoir, un impératif moral et politique d’accompagner et d’encourager cette mobilisation de la jeunesse, de chercher avec elle et avec le plus grand nombre des réponses progressives et efficaces aux défis vitaux auxquels nous sommes désormais confrontés. […] Épouser et soutenir le mouvement d’une civilisation mortifère, c’est loin d’être neutre. Le dénoncer et le refuser nous paraissent simplement constituer un acte citoyen. […]
C’est pourquoi nous rompons avec le devoir de réserve que nous nous sommes si souvent imposés. Nous soutenons et rejoignons les enseignants comme les chercheurs, femmes et hommes, qui s’engagent à des titres divers auprès de la jeunesse.
L’article est suivi d’un extrait de la liste des 262 chercheurs, universitaires et enseignants ayant signé le manifeste.