25 octobre 2013 |
La Revue POLYTECHNIQUE 10/2012 |
Éditorial
Éditorial (10/2013)
En route pour l’Eternité
Après de multiples controverses, Edward Stone, le responsable de la mission Voyager 1, a annoncé le 12 septembre dernier, que la sonde de la NASA avait quitté l’héliosphère il y a un peu plus d’un an, pour pénétrer dans l’espace intersidéral. Voguant à une distance de quelque 18 milliards de kilomètres – les signaux radio mettent plus de 17 heures pour nous parvenir –, Voyager 1 devient, après un périple de 36 ans, le premier objet envoyé par l’homme dans le milieu interstellaire, échappant ainsi à l’influence du Soleil.
Afin de pouvoir confirmer le passage de cette frontière qu’on appelle héliopause, les astronomes attendaient que ce véhicule spatial enregistre une modification de la direction du champ magnétique. Mais c’est un heureux hasard qui a apporté la preuve de cet exploit, grâce à une éjection de masse coronale du Soleil en mars 2012, provoquée par une éruption. Les particules émises ont atteint la région où se trouvait la sonde, provoquant des oscillations dans le plasma. Celles-ci ont permis de mesurer sa densité, qui s’est révélée conforme à celle des régions interstellaires calculée dans les modèles. Plus aucun doute n’est permis, Voyager 1 est en route vers les étoiles.
Et maintenant, comment ce voyage va-t-il se poursuivre, quel sera le destin de cette sonde et de sa jumelle, Voyager 2, qui devrait, elle aussi, quitter le Système solaire d’ici trois ans ? Progressant à la vitesse de 60’000 km/h, elles atteindront le voisinage d’autres étoiles dans 70’000 ans, à quelque 4 années-lumière de la Terre. Mais rien n’indique qu’elles entreront dans le champ gravitationnel de ces astres; il est bien plus probable qu’elles continueront leur périple dans l’espace pendant des milliards d’années. Jusqu’où et jusqu’à quand ?
A l’aune des connaissances actuelles, on ignore si l’Univers est fini ou infini. Depuis 1925, grâce aux observations d’Edwin Hubble, nous savons qu’il est en expansion. En 1998, les astronomes Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess ont découvert que ce phénomène est en accélération, par l’action d’une force gravitationnelle répulsive, appelée énergie noire. Aujourd’hui, les principaux scénarios prédisent que cette expansion ne sera pas suivie d’une phase de contraction menant à un effondrement général (Big Crunch), mais qu’elle se poursuivra indéfiniment pour aboutir à la «mort thermique» de l’Univers, qui se refroidira jusqu’à ce que sa température atteigne le zéro absolu. Les sondes Voyager pourraient donc bien poursuivre leur périple ad vitam aeternam.
Ce qui est fascinant dans l’aventure de ces objets construits par l’homme et qui lui ont échappé à jamais, c’est qu’ils survivront non seulement à notre civilisation, ainsi qu’à toute vie sur Terre, mais également à l’ensemble du Système solaire, dont l’étoile s’éteindra, faute de combustible, dans une dizaine de milliards d’années. «Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie», écrivait Pascal.

par Michel Giannoni