24 octobre 2014 |
La Revue POLYTECHNIQUE 10/2014 |
Éditorial
Éditorial (10/2014)
Une incertitude pas si sûre
Tout étudiant en physique ou en chimie a rencontré, au cours de son cursus, le fameux principe d’incertitude énoncé en 1927 par le savant allemand Werner Heisenberg, l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Véritable pilier de cette discipline, ce principe énonce que l’on ne peut pas connaître simultanément la position et la vitesse d’une particule, avec une précision supérieure à un certain seuil.
C’est par les mathématiques qu’Heisenberg était arrivé à cette conclusion, à savoir que le produit de l’incertitude quant à la position (D x) par l’incertitude quant à la quantité de mouvement (D p), ne peut être inférieur à h/2, h étant la constante de Planck. Plus intuitivement, on comprend que les particules élémentaires sont si petites, qu’il est impossible de les examiner sans les perturber. En effet, la lumière émise lors d’une mesure, modifie la trajectoire de l’électron ou du proton que l’on veut observer.
Or cette limite, qui semblait immuable, est aujourd’hui remise en question par plusieurs équipes, tant au niveau théorique qu’expérimental. Si toutes sont d’accord sur le fait que les mesures perturbent les systèmes quantiques, de nombreux physiciens estiment que le produit de D x par D p n’est pas une bonne description du phénomène.
C’est le physicien japonais Masanao Ozawa, de l’université de Nagoya, qui fut, en 2003, l’un des premiers à remettre en question l’équation énoncée par Heisenberg. Se basant sur la précision des mesures des ondes gravitationnelles - ondes qui n’ont d’ailleurs jamais encore été détectées -, il proposa une nouvelle relation entre D x et D p.
En 2012, trois équipes de chercheurs, celles de Masanao Osawa, d’Aephraim Steinberg de l’université de Toronto et de Yugi Hasegawa de l’université de Vienne, ont réussi à vérifier expérimentalement la relation d’Osawa, démontrant ainsi qu’il était possible de dépasser la limite d’Heisenberg. Pour ce faire, l’équipe Steinberg utilisa des photons émis par un laser infrarouge dans des fibres optiques, avant d’être captées par des détecteurs. Quant aux chercheurs de l’université de Vienne, ils effectuèrent des mesures des propriétés quantiques d’un faisceau de neutrons passant à travers une série de détecteurs.
En 2013, Cyril Branciard, de l’université du Queensland en Australie, améliora l’équation d’incertitude d’Osawa, en relevant que certaines valeurs qui satisfaisaient la relation étaient interdites. Enfin, des expériences dont les résultats ont été récemment publiés, ont confirmé ces observations, en améliorant encore leur précision.
Il faut bien relever que le principe énoncé il y a 84 ans par le génial physicien est bel et bien toujours valable et que c’est la valeur de la limite d’incertitude qui a été améliorée. Tout comme la relativité générale n’a pas invalidé la théorie de la gravitation de Newton, mais a étendu son champ d’action aux vitesses relativistes.

par Michel Giannoni