25 novembre 2014 |
La Revue POLYTECHNIQUE 11/2014 |
Éditorial
Éditorial (11/2014)
S’informer pour ne pas réinventer la roue
«Dès qu’une entreprise emploie plus de mille personnes, elle devient un empire qui s’autoalimente, générant tant de paperasse qu’elle estime n’avoir plus besoin d’informations venant du monde extérieur». (Traduction libre de la «Loi des mille», Parkinson).
Cette citation définit assez bien l’autisme dont font preuve nombre d’entreprises. Un phénomène qui ne s’applique pas qu’aux grandes entités, mais touche également nos PME. Dans le cadre de mes activités de rédacteur, j’ai constaté à diverses reprises l’attitude de certains responsables d’entreprises en ce qui concerne l’information. C’est un peu comme si leur société était seule au monde à agir dans sa branche économique, un peu à la façon d’un brise-glace qui naviguerait sans radar dans un brouillard épais au travers de la banquise, sans se soucier d’éventuels icebergs.
A ce propos j’aurais une anecdote. Ceci s’est passé il y a une vingtaine d’années. Le directeur général d’une PME romande active dans la construction d’équipements d’assemblage mécanisé était présent sur son stand lors d’une grande exposition industrielle. Lorsque je lui apportai un exemplaire de ma revue technique, il me déclara sur un ton à la fois goguenard et condescendant qu’il n’avait de toutes façons pas de temps à consacrer à la lecture de la presse technique, ni lui ni ses collaborateurs. Une façon de me signifier qu’il avait d’autres chats à fouetter…
Peu après, j’apprenais que son équipe de R+D planchait sur la mise au point d’un organe de machine-outil appelé «table à chariots croisés». Les deux axes actionnant cet accessoire de haute précision étaient entraînés par des moteurs pas-à-pas et des vis à billes, le tout étant asservi par un boîtier contenant des amplificateurs et une commande numérique maison. Un éditeur de programme numérique inédit avait été écrit en langage C par un ingénieur informaticien spécialement engagé à cet effet. D’importants frais furent engloutis dans le développement, la fabrication en sous-traitance, la mise au point du prototype et la production d’une première série. Assez rapidement, la trésorerie de l’entreprise ne fut plus en mesure de supporter la constante fuite de liquidités occasionnée par cette opération. Les banques coupèrent les lignes de crédits. Peu après, l’entreprise fut dissoute.
Si notre entrepreneur et son équipe s’étaient donné du temps pour parcourir le plus régulièrement possible les revues techniques, ils auraient certainement lu des articles de presse et remarqué des annonces publicitaires qui leur auraient évité de se lancer dans cette ruineuse opération, en leur apprenant que des tables à chariots croisés à commande numérique étaient de longue date proposées par plusieurs constructeurs en tant qu’articles standards éprouvés, en diverses tailles et formes d’exécution, pour des prix compétitifs.

par Edouard Huguelet