25 novembre 2016 |
La Revue POLYTECHNIQUE 11/2016 |
Éditorial
Éditorial (11/2016)
Michel Giannoni
Machines moléculaires et curiosité topologique
Le prix Nobel de chimie 2016 a été attribué, le 5 octobre dernier, au Français Jean-Pierre Sauvage, de l’université de Strasbourg, au Britannique James Fraser Stoddart, de l’université Northwestern aux Etats-Unis et au Néerlandais Bernard Lucas Feringa, de l’université de Groningen, aux Pays-Bas. Ces trois chercheurs ont été récompensés pour leurs travaux sur la conception et la synthèse de machines moléculaires.
«Ils ont conduit les systèmes moléculaires vers des états où, emplis d’énergie, leurs mouvements peuvent être contrôlés», a déclaré le jury du prix Nobel, en ajoutant: «Le moteur moléculaire se trouve aujourd’hui au même stade que le moteur électrique dans les années 1830, lorsque les scientifiques exposaient des manivelles et des roues, sans savoir que cela mènerait aux trains électriques, au lave-linge, aux ventilateurs et aux mixeurs.»
Ces trois chimistes sont passés maîtres dans l’art d’assembler des molécules ressemblant à des objets courants, pour fabriquer de véritables machines moléculaires. Jean-Pierre Sauvage est connu pour avoir réalisé, en 2000, le premier muscle artificiel, fait de deux molécules coulissant l’une dans l’autre. James Stoddart a construit, en 1994, une navette moléculaire constituée d’un anneau se déplaçant le long d’une chaîne en fonction de l’acidité, puis, dix ans plus tard, un ascenseur moléculaire dont la plate-forme se hisse de 0,7 nm. Bernard Feringa, quant à lui, a été le premier à concevoir, en 1999, une roue tournant sous l’effet de la lumière. Quelques années plus tard, il faisait mouvoir une voiture moléculaire.
Jean-Pierre Sauvage et James Stoddart se sont également livré à une compétition amicale pour assembler des boucles et même réaliser des anneaux de Borromée, une curiosité topologique composée de trois cercles entrelacés, tels que si l’on coupe l’un d’entre eux, les deux autres se libèrent. Autre spécificité: il n’est pas possible de réaliser matériellement des anneaux borroméens dans un espace à trois dimensions à l’aide de boucles circulaires plates.
Les anneaux de Borromée moléculaires sont des architectures mécaniquement entrelacées. En 1997, le professeur Chengde Mao et son équipe de l’université de New York réussirent à en construire avec de l’ADN circulaire, une molécule ayant l’aspect d’un ruban de Möbius. La dénomination de ces anneaux remonte aux armoiries des Borromeo, une famille lombarde qui a joué un rôle politique important au XVe siècle.
Et qu’en est-il des applications de cette «mécanisation» de la chimie ? Plusieurs brevets ont été déposés et des collaborations initiées dans les domaines de l’électronique et de la santé. Ces machines moléculaires pourraient également servir au développement de nouveaux matériaux, de capteurs, ainsi que de systèmes de stockage d’énergie.
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