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19 décembre 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 12/2016 | Éditorial

Éditorial (12/2016)

La valse des pécunes
«Votre argent travaille pour vous», proclamait emphatiquement vers la fin des années soixante, la publicité d’une banque suisse bien connue, avide de capitaux frais. L’image montrait un sac de pécunes anthropomorphe qui turbinait fébrilement, alors que son heureux possesseur roupillait béatement, vautré dans un fauteuil. En fait, ce n’est pas l’argent qui travaille, mais ce sont bel et bien les professionnels de nos entreprises, ceux qui sont à la tâche, du directeur général au plus humble manœuvre.
Il y a deux sortes de méthodes pour faire gonfler le sac à pécunes: la bourse et l’activité commerciale (j’allais dire… la bourse ou la vie). La première consiste en un jeu de hasard épique consistant à acquérir des titres de sociétés cotées en bourse, pour les revendre ensuite à un prix plus élevé lorsque leur cote grimpe, quitte à s’en débarrasser subrepticement lorsque la tendance est à la baisse. Ce genre de spéculation, faisant penser aux reniflements-expirations alternés d’un accordéon, n’engendre aucune plus-value concrète, ne faisant qu’enrichir spéculateurs, filous et traders. L’activité commerciale, en revanche, consiste à produire des biens ou des services et à les vendre, le bénéfice dégagé par l’opération servant à l’expansion de la manufacture, à dégager du profit et à assurer la rétribution des collaborateurs. Seul ce genre d’activité produit une plus-value réelle et concrète.
La valeur boursière des sociétés cotées enfle parfois considérablement au cours du temps, atteignant fréquemment des montants excessifs, qui représentent souvent des multiples de leur valeur intrinsèque. Il suffit que l’une de ces sociétés morde la poussière et tout s’effondre comme un château de cartes. Des fonds de placement comportent souvent, dans les profondeurs les plus insondables de leurs entrailles, des participations à d’autres fonds de placement. Ressemblant ainsi à des jeux de poupées russes, ils sont souvent présentés comme constituant le nec-plus-ultra des solutions de placement sans risques ou tout au moins avec une bonne dilution des risques. Sauf que l’acheteur ne voit que le sourire candide de la poupée russe extérieure. Le diable, prenant par exemple la forme de créances toxiques, se cache souvent à l’intérieur.
Pis encore, il convient de mentionner les produits financiers dérivés, lesquels consistent en des spéculations hasardeuses tablant sur des hypothèses d’évolution future de certains titres et ne nécessitant qu’un faible apport initial. Ce genre de transactions a été à l’origine des crises financières ayant sévi entre 2007 et 2011. On estime actuellement leur montant total dans le monde à plus de 600’000 milliards de dollars! Lorsque le système boursier mondial s’effondrera, ce qui ne saurait tarder, le célèbre «crash» de Wall-Street de 1929 ne sera, en comparaison, qu’une aimable plaisanterie.


par Edouard Huguelet