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25 février 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2014 | Éditorial

Éditorial (2/2014)

Un pas de plus vers l’homme bionique

Voilà un exploit qui fera date dans l’histoire de la médecine: le 18 décembre dernier, l’équipe du professeur Christian Latrémouille a implanté un cœur artificiel chez un homme de 75 ans, en insuffisance cardiaque terminale. Il s’agissait de la dernière chance pour ce patient, qui ne répondait pas aux critères d’attribution des greffes. Cette opération hors du commun a été réalisée à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris.
C’est le professeur Alain Carpentier qui a créé cette machine, méritant le qualificatif trop souvent galvaudé de «révolutionnaire». Nommée «cœur Carmat», elle réagit comme un organe humain aux sollicitations, aux émotions et même aux contraintes pathologiques. Elle assure la circulation du sang et régule son débit en fonction des efforts fournis. Aucune prise de médicaments antirejet n’est nécessaire, comme c’est le cas habituellement lors de greffes du cœur. La seule obligation pour le patient consiste à porter à la ceinture une batterie pour l’alimentation en électricité.
A la différence des dispositifs d’assistance ventriculaire, le cœur Carmat est une prothèse orthotopique, totalement implantable, constituée de biomatériaux synthétiques à base de tissus animaux traités chimiquement, l’ensemble du mécanisme étant situé à l’intérieur du corps. Grâce à un système électronique embarqué et à l’aide de motopompes baignant dans un fluide hydraulique, cette machine reproduit la physiologie de l’organe humain avec ses deux ventricules et ses battements. Un premier prototype avait été mis au point en 2000, mais son poids de 1,9 kg empêchait toute implantation chez l’homme. Le cœur Carmat pèse 900 g – trois fois plus qu’un cœur humain –, ce qui le rend compatible avec 70 % des thorax masculins et un quart des poitrines féminines.
A l’instar de la première greffe du cœur réalisée en 1967 par le professeur Christiaan Barnard, cette nouvelle prouesse technologique représente un marché potentiel de plusieurs milliards d’euros, pour une prothèse estimée à 150’000 euros, soit moins que le coût d’une transplantation cardiaque.  
Derrière cet exploit vont se poser, bien sûr, des questions d’ordre éthique. Par exemple, le cœur artificiel continuera-t-il de fonctionner après la mort du greffé ? Sera-t-il récupéré pour l’implanter à un autre patient ? Dans cette extraordinaire «usine chimique» qu’est le corps humain, on vient de remplacer une pompe défectueuse, comme on le fait dans l’industrie. A l’EPFL, l’équipe de Silvestro Micera a mis au point une main bionique qui ressent le toucher grâce à de minuscules capteurs connectés aux terminaisons nerveuses du bras. Mais où donc le progrès s’arrêtera-t-il ? Va-t-on bientôt remplacer l’unité de traitement de l’air que constituent les poumons, le réacteur de digestion qu’est l’estomac ou les équipements d’épuration des eaux que sont les reins ? Sans oublier le superordinateur de la machine humaine !
 
par Michel Giannoni