25 février 2015 |
La Revue POLYTECHNIQUE 02/2015 |
Éditorial
Éditorial (2/2015)
Matière noire et énergie sombre: une illusion ?
A force de les rechercher et de ne pas les trouver, certains astrophysiciens commencent à douter de l’existence de la matière noire – qui constituerait 25 % de l’Univers – et de l’énergie sombre – qui en représenterait 70 % –, alors que seul un dixième des 5 % restants sont accessibles à nos télescopes. Ces concepts étaient, jusqu’à présent, la seule explication plausible de la masse des galaxies en rotation, des fluctuations du fond diffus cosmologique et de l’accélération de l’expansion de l’Univers.
Mais aujourd’hui, des chercheurs, dont Thomas Buchert du Centre de recherches astrophysiques de Lyon et George Ellis, de l’université du Cap, mettent en doute ces théories qui leur semblent sans issue. Ils proposent rien moins que la modification de la loi de la gravitation universelle de Newton et de l’hypothèse de l’homogénéité de l’Univers, toutes deux formant les bases de la cosmologie actuelle.
Ainsi, la théorie MOND (Modified Newtonian Dynamics), élaborée par l’Israélien Mordehai Milgrom en 1983, est-elle de nouveau d’actualité. Elle modifie la deuxième loi de Newton appliquée à de très grandes distances et à des accélérations très faibles, ce qui permet de résoudre le problème de la rotation des galaxies, en admettant toutefois l’existence d’une certaine quantité de matière noire sous forme de neutrinos. Ceci avait été envisagé après la découverte de la masse de ces particules, en 1998, celle-ci étant cependant trop faible pour expliquer la totalité de la matière noire.
Le principe cosmologique, sur lequel est fondée l’hypothèse de la matière noire et de l’énergie sombre, stipule qu’à grande échelle, l’Univers est homogène et isotrope. Or il est difficile d’en faire la preuve. Selon Philippe Uzan, de l’Institut d’astrophysique de Paris, ce principe, qui simplifie considérablement les équations d’Einstein, est invérifiable, car nous ne pouvons observer qu’une faible partie de l’espace. Il n’est donc qu’une approximation, raison pour laquelle des scientifiques explorent maintenant de nouvelles pistes, comme la cosmologie relativiste et inhomogène.
Selon cette théorie, des volumes ne contenant pas la même densité de matière déforment – conformément à la relativité générale – l’espace de manière différente: les régions denses créent une courbure positive, simulant l’effet de la matière noire, alors que celles contenant peu de matière créent une courbure négative, imitant l’énergie sombre. La prise en compte des grandes structures de l’Univers permettrait donc de renoncer aussi bien à la matière noire qu’à l’énergie sombre.
«Partons des observations pour élaborer une loi et ne cherchons plus, comme nous l’avons fait jusqu’alors, à imaginer le contenu de l’Univers à partir des lois établies en d’autres temps», déclare l’astrophysicienne Françoise Combes, membre de l’Académie des sciences. C’est d’ailleurs ainsi que procédait Newton il y a près de trois siècles.

par Michel Giannoni