25 mars 2014 |
La Revue POLYTECHNIQUE 03/2014 |
Éditorial
Éditorial (3/2014)
Une nouvelle étape vers la fusion
Les physiciens du Laboratoire national de Lawrence à Livermore, en Californie, viennent de franchir une nouvelle étape dans la recherche visant à produire de l’énergie par fusion thermonucléaire contrôlée. En effet, les lasers de l’expérience menée sur le National Ignition Facility (NIF) – une installation appliquant la technique du confinement inertiel – ont, pour la première fois, déclenché une réaction produisant davantage d’énergie que celle consommée pour comprimer et chauffer un mélange de deutérium et de tritium, deux isotopes de l’hydrogène.
Le NIF met en œuvre 192 faisceaux lasers d’une puissance totale de 1,9 mégajoules. Emettant dans l’ultraviolet, ils sont focalisés dans un petit cylindre en or de quelques centimètres de long, renfermant une bille de combustible de 2 mm de diamètre. L’énergie fournie par les 192 lasers sert à comprimer cette cible jusqu’à des densités proches de 1000 kg/dm3 et à des températures d’une centaine de millions de degrés. Telles sont les conditions requises pour faire démarrer les réactions de fusion et tenter, ainsi, de contrôler l’énergie des étoiles.
A l’origine, le National Ignition Facility a été construit pour valider la sûreté des bombes nucléaires américaines après l’arrêt des essais en 1992. Mais depuis sa mise en service en 2009, il n’avait jamais réussi à atteindre l’ignition – ce moment où l’énergie produite par les réactions de fusion excède celle consommée.
C’est en faisant monter les lasers en puissance plus rapidement, que les physiciens ont réussi à produire davantage d’énergie que celle injectée dans le combustible nucléaire. Il faut toutefois relever qu’il ne s’agit pas encore véritablement d’ignition, car on ne compare l’énergie produite, qu’avec la très faible fraction ayant réussi à pénétrer dans la cible – soit 1 % seulement de l’énergie des lasers utilisés pour provoquer la fusion – et non pas avec la totalité de celle mise en œuvre par les 192 faisceaux. Ce résultat est tout de même un succès, les physiciens ayant réussi à déclencher un début de réaction en chaîne.
En revanche, les résultats obtenus sur le NIF ne permettent pas le moins du monde de faire avancer le projet ITER – l’installation en cours de construction à Cadarache –, car le réacteur des Bouches-du-Rhône, de type tokamak, est basé sur une technologie totalement différente – celle du confinement magnétique –, consistant à chauffer un plasma dans un anneau d’un millier de mètres cubes, en l’isolant grâce à de puissants aimants.
Le NIF, tout comme le Laser Mégajoule français, sont d’abord des instruments militaires de simulation des bombes nucléaires. Nous sommes donc encore très loin d’éventuelles applications civiles. Il existe bien, aux Etats-Unis et au Japon, des installations engagées dans cette voie, mais à des énergies encore trop faibles pour atteindre l’ignition.

par Michel Giannoni