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26 mai 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 05/2014 | Éditorial

Éditorial (5/2014)

Une nouvelle étape vers la vie artificielle

Une équipe internationale de scientifiques, dirigée par Jef Boeke, de l’université de New York, vient de franchir une étape cruciale vers la création de vie artificielle. En effet, ces chercheurs ont réussi, pour la première fois, à synthétiser un chromosome appartenant à une cellule eucaryote, du même type que celles qui constituent l’être humain. Ils sont parvenus à doter ce micro-organisme d’un fragment d’ADN dont la séquence a, elle aussi, été artificiellement créée. Il s’agit du chromosome III de la levure de boulanger Saccharomyces cerevisiae. Il aura fallu sept ans d’efforts pour synthétiser ce génome et y fixer 273’871 paires de bases, alors que son équivalent naturel en compte 316’667.
Ce chromosome a été ensuite intégré dans des cellules vivantes de levure de bière. Celles-ci se sont comportées normalement, bien qu’elles possèdent de nouvelles caractéristiques dont est dépourvue la levure naturelle. C’est aujourd’hui un consortium international, comportant des Américains, des Chinois, des Britanniques et des Français, qui espère aboutir, d’ici trois à cinq ans, à la synthèse d’une levure de boulanger totalement artificielle.
Jusqu’à présent, les chercheurs n’avaient réussi qu’à fabriquer des chromosomes de bactéries et de l’ADN viral, à l’architecture beaucoup plus simple. En 2003, le biologiste américain Craig Venter était parvenu à synthétiser un virus de la famille des bactériophages, constitué de 5386 paires de bases. Mais un tel micro-organisme n’est pas à proprement parler vivant; il ne peut se reproduire qu’aux dépens des cellules qu’il infecte. En 2007, le même chercheur avait annoncé avoir assemblé le génome d’une bactérie et le faire s’exprimer dans l’enveloppe d’une autre bactérie.
Un an plus tard, une équipe de scientifiques américains a réussi la synthèse et le clonage du génome de Mycoplasma genitalium, une bactérie du tractus génital des primates, dont le génome comporte 582’970 paires de bases, mais seulement 485 gènes.
Avec la levureSaccharomyces cerevisiae, les biologistes s’intéressent aujourd’hui à un domaine du vivant bien plus complexe, celui des eucaryotes, des cellules dotées d’un noyau encapsulant leur patrimoine génétique. Là où le génome bactérien de Craig Venter ne compte qu’un million de paires de base, le patrimoine génétique de la levure de boulanger en totalise 12’156’677 pour 6275 gènes, répartis dans seize chromosomes. Les résultats obtenus par l’équipe de Jef Boeke représentent bien une étape cruciale vers la synthèse de formes de vie supérieures.
Au-delà de l’intérêt scientifique et des aspects éthiques de ces recherches, ce nouveau succès de la biologie synthétique, qui ouvre la voie à des interventions majeures dans le génome, devrait permettre de mettre au point de nouveaux médicaments et de soigner certaines maladies génétiques.
 
par Michel Giannoni