25 juin 2013 |
La Revue POLYTECHNIQUE 06/2013 |
Éditorial
Éditorial (6-7/2013)
Un festin pantagruélique
Un vaste réseau d’observatoires situés sur Terre et en orbite, s’apprête à vivre un événement exceptionnel. D’ici quelques mois, cette année encore ou au début de l’an prochain, il sera aux premières loges pour assister au repas gargantuesque de Sagittarius A*, le trou noir niché au centre de la Voie lactée (l'astérisque signifie qu’il s'agit d'une source quasi ponctuelle). En effet, cet objet de quatre millions de masses solaires et d’un diamètre de 30 unités astronomiques va dévorer un nuage de gaz, du nom de G2, qui fonce sur lui à plus de 2000 km/s. Cette rencontre ne sera toutefois que l’apéritif de notre trou noir central, qui devrait avaler en 2018 So-2, une étoile repérée il y a près de vingt ans et qui avait permis d’évaluer la masse de cette singularité gravitationnelle.
Découvert en 2011 et observé en continu par deux des plus grands télescopes terrestres, G2 serait un disque de gaz provenant d’une étoile – comme ceux qui sont à l’origine des planètes – ou peut être un nuage isolé. Sa masse est estimée à 300 fois celle de la Terre.
Comment les astronomes pourront-ils assister à un tel festin ? Espérons d’abord que cette agape n’aura pas lieu entre les mois d’octobre et de février, lorsque le Soleil sera entre la Terre et Sagittarius. Et surtout pas entre novembre et janvier, période d’occultation des télescopes orbitaux. Par ailleurs, en raison de leur énorme attraction gravitationnelle, les trous noirs piègent irrémédiablement la lumière, si bien que les astronomes ne peuvent effectuer aucune observation directe. Mais ils savent que G2 va émettre un rayonnement X de plus en plus intense à mesure qu’il s’approchera du trou noir. Et lorsque ce nuage de gaz plongera dans les entrailles de Sagittarius, il traversera son disque d’accrétion – un anneau de matière chauffée à des milliards de degrés – et émettra des flux de rayons X, de rayonnement infrarouge et d’ondes radio avant de disparaître à jamais.
Quel est donc l’intérêt de ces observations ? Et pourquoi leur consacrer autant d’attention ? C’est parce qu’un objet s’approchant au plus près d’un trou noir est un outil inestimable pour les astrophysiciens. Il permettra, en effet, de vérifier avec une précision jamais atteinte, dans des conditions gravitationnelles des plus extrêmes, la courbure de l’espace-temps prédite par la relativité générale d’Einstein. Ceci notamment, en comparant l’observation du décalage des longueurs d’onde de la lumière dû à la courbure de l’espace-temps à proximité du trou noir, avec la valeur prévue par la relativité générale – d’où la possibilité d’une nouvelle validation de cette théorie.
Relevons encore que si ce n’est que dans quelques mois que l’on pourra observer l’engloutissement du nuage G2 et dans cinq ans celui de l’étoile So-2, ces événements étant distants de 26’000 années-lumière de la Terre, se sont donc produits il y a 26'000 ans !

par Michel Giannoni