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23 février 2021 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2020 | Sécurité

L’entomophagie, parade aux futures pénuries alimentaires

Georges Pop

Dans un rapport publié au mois de mai, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) relève que la population mondiale va atteindre neuf milliards d’individus en 2050. Il va falloir, en conséquence, produire deux fois plus d’aliments qu’aujourd’hui pour répondre à la demande. La solution, selon la FAO, passe inéluctablement par l’entomophagie, autrement dit la consommation d’insectes, dont l’élevage est moins énergivore et plus respectueux de l’environnement.

L’entomophagie, parade aux futures pénuries alimentaires

Pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dont le siège est à Rome, le recours à l’entomophagie est inéluctable, afin de prévenir les futures pénuries alimentaires. (© FAO)

Consommer des insectes pour assurer la sécurité alimentaire mondiale et prévenir le risque de pénurie en nourriture face à la croissance démographique, telle est la proposition de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Constatant que quelque deux milliards d’êtres humains mangent déjà des insectes, notamment dans les pays en voie de développement, la FAO appelle à une généralisation de cette pratique alimentaire à l’échelle de la planète tout entière.

 

Des protéines de haute qualité

Dans son dernier rapport, la FAO souligne que les insectes fournissent des protéines et des nutriments de haute qualité en comparaison avec la viande et le poisson. Ils peuvent, notamment, apporter d’importants compléments alimentaires, essentiels , par exemple, pour les enfants sous-alimentés, car la plupart des espèces d’insectes sont riches en acides gras, tout comme les poissons. Les insectes sont également riches en fibres et oligo-éléments, tels que le cuivre, le fer, le magnésium, le manganèse, le phosphore, le sélénium et le zinc. Par ailleurs, les insectes présentent un faible risque de transmission de zoonoses – des maladies transmises des animaux aux humains –, comme la grippe H1N1 (grippe aviaire) ou l’ESB (maladie de la vache folle), par exemple.

L’élevage des insectes – des animaux à sang froid – offre également de réels avantages pour la protection de l’environnement. Le taux de conversion alimentaire – la quantité de nourriture requise pour produire une augmentation de poids de 1 kg – varie, certes, en fonction des espèces et des techniques de production. Elle se révèle cependant extrêmement rentable. En moyenne, 2 kg d’aliments sont nécessaires pour produire 1 kg d’insectes, tandis que les bovins exigent 8 kg d’aliments pour produire 1 kg de masse corporelle.

 

Un élevage respectueux de l’environnement

Autre avantage, la production de gaz à effet de serre par la plupart des insectes est très inférieure à celle de l’élevage conventionnel. Les porcs, par exemple, produisent dix à cent fois plus de gaz à effet de serre par kilo que les insectes. En outre, les insectes peuvent se nourrir de reliquats organiques, tels que les déchets alimentaires ou le compost, pour les transformer en protéines destinées à l’alimentation humaine, ainsi qu’à celle du bétail. Enfin, ils ont besoin de beaucoup moins d’eau que l’exige l’élevage traditionnel et mobilisent des surfaces au sol inférieures.

La récolte, ainsi que l’élevage des insectes, sont en mesure, de surcroît, selon la FAO, de fournir des opportunités commerciales, ces animaux pouvant être transformés en nourriture de manière relativement simple ; certaines espèces peuvent même être consommées entières. Les insectes sont également à même d’être transformés en pâtes ou broyés en farine.

 

L’entomophagie, parade aux futures pénuries alimentaires

Deux milliards d’êtres humains mangent déjà des insectes, notamment dans les pays en voie de développement. (© wikipedia)

Près de deux mille espèces comestibles

Dans un récent compte-rendu sur le thème de l’entomophagie, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec souligne que plus de 1900 espèces d’insectes ont déjà été identifiées comme comestibles. Les insectes les plus consommés dans le monde sont les coléoptères (scarabées, charançons, ténébrions) à hauteur de 31 %, les lépidoptères (chenilles et papillons) dans une proportion de 18 %, puis les hyménoptères (abeilles, guêpes et fourmis), qui comptent pour 14 % de la consommation, principalement en Amérique latine. Viennent ensuite, avec 13 %, les orthoptères (sauterelles, criquets et grillons), surtout consommés en Amérique du Nord. Enfin, les hémiptères (cigales, cochenilles et punaises) assurent 10 % de la consommation mondiale.

Le Canada fait figure de pionnier, parmi les pays industrialisés, dans le secteur de l’entomophagie. De nombreuses entreprises ont déjà pris le virage de la transformation des insectes en produits alimentaires et se positionnent dans cette industrie naissante. C’est le cas, notamment, de la société Entomo Farms, installée dans le Norwood, en Ontario. Cette entreprise est actuellement la plus grande ferme d’élevage d’insectes en Amérique du Nord, avec une production annuelle de 900 millions de criquets. Elle est un important fournisseur pour des entreprises de transformation, tant au Canada qu’à l’étranger. Une quinzaine d’autres entreprises sont actives dans le secteur à travers tout le pays.

 

L’entomophagie, parade aux futures pénuries alimentaires

Plus de 1900 espèces d’insectes ont déjà été identifiées comme comestibles, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. (© FAO)

Trois espèces autorisées à la consommation en Suisse

En Suisse, des produits à base d’insectes sont présents dans les rayons des grands distributeurs, mais restent, pour le moment, peu prisés, compte tenu des réticences des consommateurs. Depuis le 1er mai 2017, trois sortes d’insectes, obligatoirement issus d’élevages, pour éviter des traces de pesticides, sont autorisées à la consommation humaine : Tenebrio molitor (vers de farine), Locusta migratoria (criquet migrateur) et Acheta domesticus (grillon). L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaire (OSAV) indique que ces insectes peuvent être remis aux consommateurs entiers, en morceaux ou moulus, mais à certaines conditions. Avant leur commercialisation, ils doivent avoir été surgelés, puis soumis à un traitement par la chaleur ou à un autre procédé capable de détruire les germes végétatifs.

 

Une ferme d’élevage indigène

Entomos SA est la première entreprise d’élevage d’insectes comestibles autorisée en Suisse. Certifiée bio, basée au Lieu, dans la vallée de Joux, elle élève des insectes depuis 2009. Elle exploite sa propre ferme d’insectes comestibles depuis 2016, à Grossdietwil, dans le canton de Lucerne. Sur son site Internet, l’entreprise dit travailler en étroite collaboration avec des chefs afin de proposer des produits transformés, novateurs et à base de farine d’insectes, tels que des pâtes, chips, farines et snacks en tout genre. Le site gourmetbugs.ch, qui lui est associé, se présente comme le chef de file suisse de la vente en ligne de produits alimentaires à base d’insectes. Il propose également de nombreuses recettes.

À Genève, la société VerSo Good propose également un vaste éventail de produits à base d’insectes, ainsi qu’un service traiteur. Les propriétaires, qui organisent régulièrement des dégustations, envisagent de fonder, à terme, leur propre élevage dans le canton. En attendant les autorisations, ils font venir leur matière première de Belgique, d’Autriche ou de la ferme lucernoise de Grossdietwil.

Initialement prévue du 2 au 6 juin de cette année au Centre des congrès de Québec, la 3e Conférence internationale « Insectes pour nourrir le monde » a été reportée à l’année prochaine, en raison de la pandémie du nouveau coronavirus. Les débats prospectifs devaient porter, notamment, sur la récolte et le rôle traditionnel des insectes comestibles, les nouveaux systèmes de production, ainsi que sur les sources de protéines alternatives destinées au bétail. Les protagonistes du secteur comptent sur une progression rapide de leurs activités.