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19 octobre 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE | Vie des entreprises

Une vaste étude sur l’utilisation des antibiotiques

L’utilisation massive d’antibiotiques dans le monde est aujourd’hui un problème particulièrement inquiétant, en raison de la résistance accrue des bactéries qui, par mutation, parviennent à survivre et transmettent à leur descendance leurs gènes de résistance. Dans ce contexte, deux médecins lausannois et un médecin lucernois ont lancé une étude ayant pour but de documenter l’utilisation des antibiotiques chez les nouveau-nés, dans treize pays et plus de 50 hôpitaux.

L’étude lancée par le Dr Eric Giannoni, pédiatre et néonatologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), le Dr Varvara Dimopoulou Agri, spécialiste en pédiatrie au CHUV et le Dr Martin Stocker, médecin spécialisé en néonatologie à l’hôpital pédiatrique de Lucerne, a pour objectif de recueillir des informations afin d’améliorer la compréhension du problème de la surexposition aux antibiotiques chez les bébés, de sensibiliser les professionnels à cette question et d’identifier les pratiques associées à de meilleurs résultats.

Une grave menace pour la santé publique au niveau mondial

Selon un rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) publié en 2016, la résistance aux antibiotiques tue quelque 25’000 personnes chaque année en Europe, notamment en étant la cause des maladies nosocomiales. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), quant à elle, a reconnu que nous sommes confrontés à une grave menace pour la santé publique au niveau mondial. Ce phénomène d’augmentation des gènes de résistance aux antibiotiques (résistome) est lié à des pratiques inappropriées, qui influent fortement sur le nombre de souches de ces micro-organismes qui acquièrent une résistance.

De manière générale, la résistance aux antibiotiques résulte d’une évolution par sélection naturelle, ces médicaments exerçant une pression sélective très forte, en éliminant les bactéries les plus sensibles. Celles présentant une mutation parviennent à survivre, continuent à se reproduire et transmettent à leur descendance leur résistome, engendrant rapidement une génération de bactéries totalement ou majoritairement résistantes.

Antibiotiques_CHUV_ Néonatologie

La surconsommation d’antibiotiques engendre la multiplication de bactéries résistantes, ce qui cause de réels problèmes de santé publique.

Trop d’antibiotiques pour les bébés

«Trop de bébés reçoivent des antibiotiques. Pour la santé des générations futures, nous devons réduire l’exposition à ces médicaments au début de la vie. Car il existe un réel danger qu’en raison de la résistance aux antibiotiques, nous ne puissions plus traiter les infections graves à l’avenir», déclare le Dr Eric Giannoni.

En effet, des données scientifiques indiquent que les traitements antibiotiques administrés aux nouveau-nés peuvent avoir des conséquences néfastes, plus tard dans la vie. Ces médicaments modifient la composition microbienne de l’intestin, peuvent compromettre l’allaitement et augmenter le risque d’eczéma, d’allergie, d’obésité, de diabète et de maladies inflammatoires de l’intestin.

Documenter l’utilisation des antibiotiques chez les nouveau-nés

L’étude lancée par ces trois médecins a pour but de documenter l’utilisation des antibiotiques chez les nouveau-nés, dans treize pays et plus de 50 hôpitaux, dans lesquels les médecins ont accepté de participer à ce projet. Le Dr Varvara Dimopoulou Agri en est persuadée : « Cette étude permettra de recueillir des informations afin d’améliorer notre compréhension du problème de la surexposition aux antibiotiques chez les bébés, de sensibiliser les professionnels à cette question et d’identifier les pratiques associées à de meilleurs résultats ».

Une base de données a été élaborée et le comité d’éthique suisse a approuvé l’étude. Le initiateurs sont donc prêts à la lancer, le dernier obstacle étant le manque de fonds destinés à son organisation.

Identifier les hôpitaux qui obtiennent de meilleurs résultats

«Communiquer sur cette question est une étape très importante si nous voulons que les médecins évaluent et adaptent leur pratique », déclare le Dr Martin Stocker. En menant cette vaste étude, ses initiateurs souhaitent identifier les hôpitaux ou les pays qui obtiennent de meilleurs résultats, avec des pratiques associées à un niveau plus faible de prescription d’antibiotiques et un traitement en toute sécurité des bébés qui ont vraiment besoin de ces médicaments.

La collecte et l’anonymisation des données cliniques de milliers de bébés représentent un travail considérable et ces informations doivent être transférées dans une base de données en ligne sécurisée, spécialement conçue pour cette étude. Les résultats seront analysés par l’équipe de médecins en Suisse, avant d’être partagés dans des conférences scientifiques, des revues à libre accès évaluées par des pairs, ainsi que dans les médias.

La méthodologie du projet

Dans des hôpitaux de treize pays, les enquêteurs enregistreront quels bébés reçoivent des antibiotiques et pendant combien de temps, et quels sont ceux qui ont une infection prouvée. Un indice de surtraitement sera ensuite calculé, c’est-à-dire le nombre de bébés recevant des antibiotiques pour un cas d’infection avérée. Cela permettra de développer de nouvelles interventions pour réduire l’exposition aux antibiotiques chez les nouveau-nés, tout en protégeant ceux qui ont des infections avérées.

Un projet de financement participatif

De nombreux médecins travaillant auprès de nouveau-nés dans les hôpitaux de plusieurs pays ont accepté de contribuer à ce projet, sans augmentation de salaire. Mais l’étude a des coûts qui ne sont pas pris en charge par les hôpitaux. Les initiateurs recherchent donc, par l’intermédiaire d’une plate-forme Internet, des fonds pour couvrir les dépenses des scientifiques impliqués dans la collecte des données, pour la mise en place et la maintenance de la base de données de l’étude, ainsi que pour l’analyse et la diffusion de ces données.

Contact:
Dr Eric Giannoni CHUV
Néonatologie
1011 Lausanne
Tél. 021 314 34
https://wemakeit.com/projects/less-antibiotics-for-babies

 

Les initiateurs du projet

antibiotiques_CHUV_ NéonatologieLe Dr Eric Giannoni est un médecin pédiatre et néonatologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), spécialisé dans la prise en charge des nouveau-nés et des prématurés. Ses travaux de recherche visent à améliorer la prévention et le traitement des infections néonatales, par une meilleure compréhension du développement du système immunitaire, ainsi que par une optimisation de la prise en charge.

antibiotiques_CHUV_ NéonatologieLe Dr Varvara Dimopoulou Agri est un médecin spécialiste en pédiatrie, actuellement en formation approfondie en néonatologie au CHUV à Lausanne. Elle se passionne pour les projets visant à augmenter la qualité, l’efficience et l’efficacité de la prise en charge des nouveau-nés. Doctorante à l’Université de Lausanne, son travail de recherche porte sur les infections néonatales et l’utilisation rationnelle des antibiotiques.

antibiotiques_CHUV_ NéonatologieLe Dr Martin Stocker est un pédiatre spécialisé en néonatologie et médecine pédiatrique à l’hôpital pédiatrique de Lucerne. L’objectif de ses recherches et de ses projets se résume par l’aphorisme «Moins d’antibiotiques au début de la vie». Il a déjà réalisé et publié plusieurs études en collaboration avec des pédiatres dans le monde.

www.nest-net.org