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07 octobre 2019 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2019 | Astronomie

La fusion avec une galaxie naine a modelé la Voie lactée

Georges Pop

Grâce aux données astrométriques du satellite Gaia lancé en décembre 2013 pour le compte de l’Agence spatiale européenne, une équipe internationale d’astronomes est parvenue à distinguer les étoiles issues de la collision, il y a dix milliards d’années, entre une galaxie naine et la jeune Voie lactée. La théorie relative à cette collision, qui a contribué à façonner notre galaxie, a ainsi été confirmée.
Le doute n’est plus permis: la proto Voie lactée a bien dévoré, au sens littéral du terme, une galaxie naine, baptisée Gaia-Enceladus, alors qu’elle n’était encore qu’aux prémices de sa formation, que sa taille était plus modeste et qu’elle n’était encore qu’un désordonné assemblage d’étoiles, de gaz et de poussières de forme vaguement lenticulaire.

 
La collision, il y a dix milliards d’années, entre une galaxie naine et la jeune Voie lactée a contribué à façonner notre galaxie pour lui donner la forme spirale que représente cette image. (©: Les Echos)
 
 

De nombreux indices plaidaient déjà pour la thèse de la collision
Certains reliquats de cette ingestion avaient déjà été observés, déjà grâce au satellite Gaia, par une équipe conduite par les astronomes Amina Helmi du Kapteyn Astronomical Institute de Groningue, aux Pays-Bas et Carine Babusiaux, de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble, en France. En 2018, les deux scientifiques avaient révélé, sur le site arXiv, avoir observé dans notre galaxie quelque 30’000 étoiles à la composition chimique singulière et à l’orbite extravagante. Ajoutées à la constatation que plus d’une dizaine d’amas globulaires avaient des orbites bizarrement rétrogrades, ces observations les ont persuadées que ces dérèglements étaient bien la conséquence d’une ancienne collision.
L’article publié cet été dans Nature par l’astrophysicienne Carme Gallart de l’Institut d’Astrophysiquedes Canaries, qui a accordé les observations de toute une escouade de chercheurs, va non seulement dans la même direction, mais il apporte par surcroît des conclusions très probantes, qui affermissent le scénario de ce télescopage géant.
 
Les données astrométriques du satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne ont permis de repérer les étoiles issues de la collision, il y a dix milliards d’années, entre une galaxie naine et la jeune Voie lactée. (©: CNES)
 
 

Des étoiles éjectées dans le halo galactique
L’astrophysicienne y explique avoir analysé avec son équipe, dans un rayon de 6500 années-lumière autour du Soleil, à peu près un million d’étoiles appartenant au halo galactique de la Voie lactée, cette zone sphéroïdale constituée d’étoiles, de gaz et de matière noire qui entoure toutes les galaxies spirales. En combinant le diagramme de Hertzsprung-Russell (H-R) qui étiquette chaque astre selon sa couleur-température et sa magnitude, avec les observations inédites du satellite Gaia, notamment sur la vitesse, la trajectoire et la position de chacune de ces étoiles, deux types distincts d’astres ont été identifiés: les «plutôt rouges» et les «plutôt bleus», dont la course est différente des premières et qui sont moins riches en éléments lourds. Pourtant, bleues ou rouges, toutes ont approximativement le même âge: 13 milliards d’années.
À partir de ces données et d’autres encore, les simulations informatiques n’ont guère laissé de doute: les bleues sont issues de la naine Gaia-Encelade et les rouges du disque originel de notre galaxie, qui était quatre fois plus massive que sa «proie». Toutes ont été repoussées lors de la collision-fusion dans le halo de la Voie lactée où elles suivent désormais leurs étranges trajectoires.
Rien de brutal cependant, comme l’explique Carme Gallart: «C’est un processus très graduel. C’est très massif, donc ça arrive très lentement à l’échelle humaine, mais il est vrai, pas si lentement à l’échelle cosmique». De plus, selon ses conclusions et celles de ses pairs, c’est bien l’apport en gaz de Gaia-Enceladus qui a contribué à donner progressivement à notre Voie lactée l’aspect d’une spirale en entraînant, par effet gravitationnel, la formation de son disque, il a plus de 6 milliards d’années.
 
En astronomie, le diagramme de Hertzsprung-Russell (H-R) est un graphique dans lequel est indiquée la luminosité d’un ensemble d’étoiles en fonction de leur température effective. Ce type de diagramme a permis d’étudier les populations d’étoiles et d’établir la théorie de l’évolution stellaire. (Source: Wikipedia)
 
 

Les collisions galactiques: un phénomène récurrent
Cette collision-fusion mise en évidence par les dernières observations du satellite Gaia, n’aurait en définitive rien de très surprenant. Elle serait même plutôt banale. La communauté astronomique s’accorde aujourd’hui pour considérer que, pendant près de 800 millions d’années après le Big Bang, les premières galaxies ont connu une prime enfance sous forme de naines, avant d’entrer en interaction gravitationnelle pour fusionner et former les grandes familles stellaires que l’on connaît. Les trous noirs supermassifs qui occupent leur centre, seraient aussi le fruit de ces fusions successives. Et le phénomène, même s’il est moins répandu qu’autrefois, se poursuit encore.
«Rien que dans le groupe local, nous observons des galaxies naines interagir dans le sens d’une fusion», constate l’astrophysicien Stéphane Paltani de l’Université de Genève, spécialiste des trous noirs.«L’image n’est pas très scientifique, c’est comme si certaines zones se comportaient à la manière des bassins d’accumulation d’eau de pluie, sauf que là, il s’agit de matière». ajoute-t-il. Et le phénomène, on le sait, n’épargne pas les grandes galaxies, loin s’en faut.
 
La Voie lactée digérée par Andromède
Les mesures effectuées grâce notamment au télescope spatial Hubble entre 2002 et 2010 ont, par exemple, montré que la galaxie d’Andromède et la Voie lactée, les deux plus grandes spirales du groupe local, s’approchent l’une de l’autre grosso modo à la vitesse de 430’000 km/h (120 km/s). À ce rythme-là, notre galaxie sera avalée par sa voisine, plus lumineuse et très vraisemblablement plus massive, dans approximativement quatre milliards et demi d’années pour générer une géante elliptique à l’éclat blanchâtre.
Une vraie perte d’un point de vue esthétique. Mais nous sortons là du strict cadre scientifique…
 
À propos du satellite Gaia
Conçu par l’Agence spatiale européenne, le satellite Gaia, d’un poids approximatif de 2 t, a été lancé le 19 décembre 2013 du centre spatial de Kourou, en Guyane, grâce à une fusée Soyouz. Placé autour du point de Lagrange L2, Gaia est chargé, jusqu’à la fin 2020, de mesurer et d’analyser plus d’un milliard de corps célestes (étoiles, galaxies, etc.) jusqu’à la magnitude 20. Ses deux télescopes forment des images qui se superposent sur un plan focal commun, constitué par 106 capteurs CCD de 4500 x 1966 pixels. Ils intègrent un instrument astrométrique pour mesurer la position et le déplacement des étoiles, un capteur spectrophotométrique qui détermine l’intensité lumineuse des objets observés dans deux bandes spectrales distinctes, ainsi qu’un spectromètre qui calcule la vitesse radiale de ces objets. Les données recueillies par la mission sont librement accessibles à toute la communauté scientifique.
 
 
Carme Gallart

Instituto de Astrofísica de Canarias - IAC
Tél. +34 922 605 200
carme@ll.iac.es