04 mai 2015 |
La Revue POLYTECHNIQUE 02/2015 |
Physique
La matière noire: des indices probants ?
Une émission atypique de photons, détectée par des chercheurs de l’EPFL dans les rayons X en provenance de certains objets célestes, pourrait bien être le signal de l’existence de particules de matière noire. Si elle est confirmée, cette découverte ouvrira de nouvelles perspectives en cosmologie.
Serait-ce enfin la marque tangible de l’existence de la matière noire dans l’Univers? Après avoir écumé des milliers de données issues des rayons X émis par le cosmos, des chercheurs du Laboratoire de physique des particules et de cosmologie (LPPC) de l’EPFL pensent avoir identifié le signal d’une particule de matière noire. Cette substance, jusque-là hypothétique, n’interagirait selon aucun des modèles de la physique standard, hormis celui de la gravitation. Leur recherche est publiée lundi dans Physical Review Letters.
Lorsqu’ils étudient la dynamique des corps célestes, les physiciens se trouvent face à un véritable mystère. S’ils ne prennent en compte que la matière visible, leurs équations n’expliquent pas tout. Les éléments observables ne suffisent pas à eux seuls à expliquer la rotation des objets et les forces gravitationnelles en présence. On en déduit donc l’existence d’une matière invisible, qui n’interagit pas avec la lumière, mais uniquement par interaction gravitationnelle. Appelée «matière noire», elle constituerait pas moins de 80 % de la masse de l’Univers.
Un signal venu d’Andromède et de Persée
Récemment, deux groupes ont annoncé avoir détecté ce qui pourrait en être le signal tant attendu. Deux chercheurs de l’EPFL, Oleg Ruchayskiy et Alexey Boyarsky, également professeur à l’Université de Leiden aux Pays-Bas, l’ont identifié en analysant les rayons X émis par deux objets célestes: l’amas de galaxies de Persée et la galaxie d’Andromède. Après avoir recoupé des milliers d’informations provenant du télescope de l’Agence spatiale européenne XMM-Newton et éliminé tous les signaux issus de particules et d’atomes connus, ils ont repéré une anomalie qui, même s’ils n’excluent pas entièrement la possibilité d’une erreur des instruments de mesure, leur a mis la puce à l’oreille.
Le signal se manifeste dans le spectre des rayons X, par une émission faible et non typique de photons, que les chercheurs ne peuvent rapporter à aucune matière connue. Mais surtout, «la distribution de ce signal au sein de la galaxie correspond précisément à celle que nous nous attendons à trouver en présence de matière noire, c’est-à-dire de manière plus concentrée et intense au centre des objets, plus faible et diffuse sur ses bords», explique Oleg Ruchayskiy. «Dans un but de vérification, nous avons ensuite mené des investigations au sein même de notre galaxie, la Voie lactée, et avons fait les mêmes observations», relève Alexey Boyarsky.
Vers une nouvelle ère en astronomie
Ce signal proviendrait d’un événement très rare dans l’Univers: l’émission d’un photon due à la destruction d’une particule hypothétique, d’un «neutrino stérile», par exemple. Si cette découverte se confirme, elle ouvrira de nouvelles perspectives en physique des particules. «C’est pratiquement une nouvelle ère qui s’ouvre en astronomie!», s’enthousiasme Oleg Ruchayskiy.
«Cette avancée générera le développement de nouveaux outils, des observatoires ou des télescopes conçus spécifiquement pour l’étude de ces nouvelles particules», ajoute Alexey Boyarski. «Elle nous permettra de savoir où chercher pour comprendre plus exactement de quoi la matière noire est faite et d’en définir des modèles beaucoup plus précis».
Oleg Ruchayskiy, Laboratoire de physique des particules et de cosmologie (LPPC) EPFL
Tél.: 021 693 05 21
oleg.ruchayskiy@epfl.ch
Alexey Boyarsky, Laboratoire de physique des particules et de cosmologie (LPPC) EPFL et Université de Leiden
Tél.: 021 693 05 21
alexey.boyarsky@epfl.ch