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11 décembre 2017 | La Revue POLYTECHNIQUE 10/2017 | Télécommunications

La Software Defined Radio: le circuit matériel remplacé par un logiciel

Elsbeth Heinzelmann*

Lorsqu’il y a 20 ans l’occupation de la bande FM entre 87,5 et 108,0 MHz a fortement augmenté, le passage au DAB (Digital Audio Broadcasting) est devenu la norme numérique de transmission pour la réception terrestre de la radio numérique. Dix ans plus tard DAB+ nous a offert davantage de programmes de meilleure qualité avec des codecs audio optimisés. Grâce à sa flexibilité, la Software Defined Radio (SDR) développée à la Haute école spécialisée bernoise permet de réaliser, par des mesures logicielles, les normes de transmission les plus modernes.
Avec la croissance exponentielle des possibilités actuelles de communication sans fil - WLAN (réseau local sans fil), Bluetooth pour la transmission vocale et de données dans le milieu personnel, ZigBee pour les réseaux de capteurs et de commande ou Ultra Wideband (UWB) pour connecter des appareils périphériques avec un débit de données élevé –, l’élargissement souple et rentable de normes de transmission nouvelles ou modifiées par de simples mises à niveau des logiciels est devenu essentiel.

 
Les tableaux SDR (Software Defined Radio) sont reliés à un analyseur de spectre et à un générateur de haute fréquence, puis testés et étalonnés automatiquement par un script Linux. Les données d’étalonnage sont enregistrées sur le tableau respectif. (Photo: Haute école spécialisée bernoise)
 
 

Un concept particulièrement souple
C’est ici que la Software Defined Radio (SDR) entre en jeu. Elle est particulièrement flexible en matière de paramètres du système, car la reconfiguration se fait par un logiciel. Le choix du signal est tout aussi souple, les SDR pouvant être adaptées à différents scénarios de l’environnement d’utilisation du spectre. Elles sont également flexibles quant au choix de la fréquence, car le développement des appareils ne doit pas être aussi spécifique.
Le concept SDR n’est en fait pas nouveau; il émane de la technique militaire des années 1990. Le développement rapide du potentiel de l’électronique numérique place dorénavant à portée de main des processus jusqu’ici impensables. Dans les SDR, les éléments du traitement de signal des émetteurs/récepteurs de radiofréquence sont définis par des blocs logiciels fonctionnels. Les éléments numériques plus performants permettent de mettre en œuvre des standards de radiocommunication mobile complexes de la troisième et de la quatrième génération, ainsi que des UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) et LTE (Long Term Evolution).
Pour rendre financièrement intéressants les systèmes de communication sans fil économiques et plus petits basés sur la technologie de puce, il faut en produire un grand nombre. Ils doivent toutefois être intégralement modifiés lorsque les normes radio changent. En revanche, les appareils radio basés sur la SDR offrent une souplesse maximale. En fonction de la configuration, une SDR peut être une station de base de téléphonie mobile, un récepteur radio numérique ou un système radar. Malgré la grande flexibilité des SDR, leurs propriétés au niveau de la haute fréquence n’étaient pas suffisantes pour offrir une alternative futuriste aux technologies radio professionnelles. La plate-forme SDR développée par le professeur Rolf Vogt à l’institut RISIS de la Haute école spécialisée bernoise (BFH) contribue à changer cela.
 

Contrôle de l’assemblage des tableaux SDR (cartes imprimées Software Defined Radio). (Photo: Haute école spécialisée bernoise)

 



Le logiciel couvre un large éventail de tâches
Le principe de base est simple. Sur le trajet de réception, un convertisseur analogique-numérique (CAN) transforme en signaux numériques des signaux analogiques à proximité de l’antenne et, inversement, un convertisseur numérique-analogique (DAC) traite les signaux côté émission. Entre antenne et CAN, respectivement DAC, des amplificateurs et des filtres suffisent.
La plate-forme SDR permet d’émettre et de recevoir simultanément sur deux canaux individuels séparés, ce qui constitue la base des systèmes Smart Antenna, qui permettent de modifier de manière électronique le diagramme de rayonnement des antennes. L‘actuelle largeur de bande du signal, d’environ 60 MHz, permet de traiter non seulement certains canaux de fréquence, mais la bande toute entière de la plupart des standards radio. La structure est conçue de façon modulaire, ce qui permet d’élargir la plage de fréquence vers le haut, jusqu’à plusieurs gigahertz, avec des cartes filles HF optionnels, enfichables – donc des cartes embrochables HF. En interprétant judicieusement la partie haute fréquence, le système est utilisable pour une large plage de niveau d’entrée. En fonction de la fréquence du signal, il est également possible de travailler avec un sous-échantillonnage côté récepteur.
Les oscillateurs sont synchronisés avec une grande précision par un moyen de référence GPS. La partie numérique a été réalisée avec des FPGA (Field Programmable Gate Arrays) performants, des circuits intégrés de la technique numérique, dans lesquels la fonctionnalité d’un circuit logique est chargée. On peut – dans le cadre des lois physiques – mettre en œuvre n’importe quelle norme radio ou n’importe quelle forme du signal grâce au principe basé sur un logiciel. La plate-forme, qui présente d’excellentes caractéristiques de haute fréquence, est utilisée dans des systèmes radio professionnels.
 
La plate-forme développée à la Haute école spécialisée bernoise pour Software Defined Radio. 

L’ensemble du système d’intervention vocale et le répétiteur DAB+ sont logés dans le boîtier en aluminium. Le système de transmission audio et à fibres optiques de répartition des signaux radio dans le tunnel, ainsi que les antennes de réception peuvent être raccordés directement. (Photo: Haute école spécialisée bernoise)

 
 

Une aptitude vérifiée en pratique
Pour réaliser un tel système, la commission pour la technologie et l’innovation (CTI) a soutenu deux projets. À la fin des travaux, en automne 2016, d’anciens étudiants et collaborateurs de la Haute école spécialisée bernoise ont fondé l’entreprise PrecisionWave AG à Soleure. Ils proposent leur compétence professionnelle en solutions radio pour des applications spéciales. Il s’agit avant tout du développement de matériel et de mise en œuvre de normes radio et d’algorithmes pour le traitement numérique des signaux.
La première application a été la radio dans les tunnels. Au printemps 2016 déjà l’Office fédéral des routes (OFROU) avait annoncé vouloir équiper pour 30 millions de francs les tunnels des routes nationales avec la technologie DAB+. Le passage prévu à moyen terme de FM à DAB+ l’exigeait. Les dispositions de sécurité imposent aussi l’interruption des programmes radio de technologie DAB+ dans le tunnel en cas d’incident, pour passer des communications sur le trafic et la sécurité.
«Ce ne fut pas une mince affaire», constate Andreas Zutter, collaborateur scientifique à la BFH et cofondateur de PrecisionWave AG. «Pour des raisons techniques, faire fonctionner des canaux de tunnel avec DAB+ est nettement plus complexe qu’avec la FM, et ce avec ou sans interruption vocale. Comme dans le cas de DAB+, tous les émetteurs travaillent sur le même canal de fréquences, les flux de données numériques des émetteurs à l’intérieur du tunnel doivent être parfaitement synchronisés avec ceux des émetteurs voisins extérieurs au tunnel. Il faut pouvoir parfaitement synchroniser les récepteurs – dans le cas présent les autoradios DAB+ - sur le signal d’émission. Si le récepteur perd ne serait-ce que brièvement la synchronisation avec l’émetteur, le rétablissement dure au minimum quelques dizaines de secondes. Pendant ce temps la réception est complètement coupée», ajoute-t-il.
Le système d’interruption vocale dans les tunnels (DAB+ Voice Break-In), dorénavant basé sur la SDR et développé en équipe par le professeur Rolf Vogt, interrompt les diffusions en cours dans les tunnels routiers, quand il faut sans tarder annoncer des urgences telles qu’incendies ou accidents. De tels systèmes peuvent naturellement aussi être utilisés dans les gares, les parkings couverts ou les centres commerciaux, partout où les messages impromptus permettent de mettre les gens en sécurité.
Au cours du deuxième trimestre 2016, PrecisionWave AG a installé, en accord avec l’OFROU, le système basé sur la plate-forme SDR de la BFH dans le tunnel du Barreg sur l’autoroute A1 entre Zurich et Berne. La radio numérique est également diffusée dans le plus long tunnel routier des Alpes, le tunnel du Gothard, où des annonces peuvent en tout temps interrompre les programmes radio.
 
La configuration du test: en plus de l’analyseur de spectre et du générateur de haute fréquence, on utilise pour les raccordements de haute fréquence, un oscilloscope sur PC avec générateur d’interface audio intégré. (Photo: Haute école spécialisée bernoise)
 



Découvrir de nouvelles applications
Actuellement, on trouve la technologie SDR dans les stations de base des communications mobiles. L’ordinateur standard la transforme en un outil permettant de créer des prototypes de systèmes de communication sans fil. Depuis quelques années déjà la SDR s’est notamment établie dans la technique de communication militaire. Parmi les avantages, il faut relever la possibilité de configuration rapide pour différentes utilisations, un rattachement simple aux systèmes de gestion modernes, ainsi que la diminution drastique du nombre de radios différentes. Et enfin, les clés USB peuvent même servir de récepteurs de DVB-T (Digital Video Broadcasting) avec une largeur de bande du signal allant jusqu’à 3,2 MHz. Les experts estiment que la technologie fondée sur des FPGA programmables par l’utilisateur sert de base aux futurs appareils de mesure HF.
Andreas Zutter, responsable du traitement des signaux chez PrecisionWave AG, voit l’avenir avec optimisme. «Les FPGA (Field Programmable Gate Arrays) soutenus par SDR ouvrent de nouveaux champs d’application et s’adaptent relativement bien aux nouvelles applications, ce qui réduit la durée du développement du produit. Les SDR sont compatibles et efficaces, et rendues possibles – sans PC supplémentaire - grâce à une technologie System-On-Chip (SoC), un système complet sur chipset comprenant les composants de circuit les plus divers et offrant un rendement très élevé», déclare-t-il
Rolf Vogt, Dr-Ing. EPF, voit aussi les limites de la technologie SDR. «Malgré les progrès actuels, il y a peu de chances que la technologie SDR remplace partout la technique analogique classique», déclare le professeur de télécommunication sans fil et de technique haute fréquence. «Les applications spéciales sont cependant un domaine d‘utilisation futuriste de la technique SDR, où le nombre de pièces attendues ne justifie pas, économiquement parlant, le développement d’un circuit intégré propre à une application (ASIC), ou parce que les exigences en termes de puissance de calcul nécessitent un FPGA. Les PME évoluent justement dans ce domaine», poursuit-il.
 
Andreas Zutter, fondateur de PrecisionWave AG, qui a un pied dans la Haute école spécialisée bernoise, et Cyril Zwahlen, assistant à la BFH, discutent les résultats obtenus. (Photo: Haute école spécialisée bernoise)
 
 

Haute école spécialisée bernoise
Tél. 032 321 63 88
www.risis.bfh.ch/wicom
 
PrecisionWave AG
4500 Soleure
www.precisionwave.com

 

* Journaliste science + technologie