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29 février 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 01/2016 | Environnement

La STEP de Vidy va faire peau neuve

Michel Giannoni

La journée des médias de l’Union Suisse des Sociétés d’Ingénieurs-Conseils (usic) a été consacrée aux défis posés par les micropolluants dans l’eau, dans le contexte du renouvellement de la station d’épuration de Vidy, à Lausanne. Ce chantier de 300 millions de francs ouvre des perspectives au-delà de la Romandie. Un enjeu majeur pour nos sociétés et notre environnement.
Mise en service en 1964, année de l’Exposition nationale, la station d’épuration (STEP) de Vidy traite les eaux usées de la ville de Lausanne, ainsi que celles de quinze communes environnantes, totalisant plus de 200’000 habitants. Elle est également un centre agréé de récupération des déchets spéciaux des ménages lausannois et traite les détritus issus des vidanges de fosses septiques, de fosses à graisse de restaurants et des WC chimiques. Elle incinère les boues d’épuration, suite à l’interdiction d’épandage dans l’agriculture.
 
La station d’épuration de Vidy dispose de très peu de réserve de terrain. (Infographie BG)
 

La STEP de Vidy occupe un site de 500 m de long et 150 m de large, densément construit. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une vingtaine d’employés se relaient pour assurer l’exploitation, une vingtaine d’autres assurant l’entretien des installations ainsi que les diverses tâches administratives.
Après plus de quarante ans de bons et loyaux services et afin de pouvoir respecter une législation de plus en plus sévère sur la protection de l’environnement, il s’est avéré nécessaire de procéder à la rénovation et à la reconstruction de la station. Or, si l’on peut mettre hors service une usine de production industrielle, la démolir et transférer temporairement la production ailleurs, puis reconstruite à neuf, ce n’est pas le cas d’une station d’épuration dans laquelle les eaux usées ne cessent d’y affluer, de jour comme de nuit. Le défi consiste donc à reconstruire sur le site actuel, présentant très peu de réserve de terrain, tout en assurant, durant les travaux, le parfait fonctionnement de la station.
 
La filière de traitement retenue pour la nouvelle STEP. (Infographie BG)
 

Des exigences accrues
Les exigences concernant le traitement des eaux usées sont, bien évidemment, beaucoup plus strictes qu’auparavant. Le nombre d’équivalents-habitants (somme des habitants et équivalents correspondants de l’industrie et de l’artisanat a considérablement augmenté ces dernières années et la tendance va croissante. L’augmenter requise de la qualité de traitement a pour conséquence qu’il y a davantage de charge polluante à éliminer, notamment concernant la pollution carbonée. On doit actuellement traiter l’azote – provenant principalement des rejets humains et de l’agriculture -, ce qui n’était pas le cas auparavant. Enfin, et c’est une décision pionnière de la ville de Lausanne, la nouvelle station devra traiter les micropolluants de plus en plus présents dans les eaux usées et aussi désinfecter l’eau qui est rejetée dans une zone de baignade.
 
Décantation compacte à haute charge. (Infographie BG)
 

Des technologies compactes et performantes
Compte tenu de ces exigences, les technologies conventionnelles (boues activées à faible charge, dans lesquelles les bactéries dégradant la matière organique sont maintenues en suspension par brassage dans des bassins) prendraient beaucoup trop de place et les équipements ne pourraient entrer sur le site.
Il a donc fallu se tourner vers des technologies compactes et à forte charge, avec des bactéries fixées sur des supports solides, permettant de traiter, par mètre carré d’ouvrage et par seconde, des volumes d’eau usée beaucoup plus importants. Une étude comparative multicritère des filières existantes a été effectuée pour définir la variante optimale.
 
Biofiltration: une technologie compacte et à forte charge, avec des bactéries fixées sur des supports solides. (Infographie BG)
 

Les défis posés par les micropolluants
Depuis quelques années, une nouvelle forme de pollution, qui n’avait jamais été détectée auparavant, sévit dans nos lacs. Il s’agit des micropolluants, des substances présentes dans les eaux à des concentrations extrêmement faibles, de l’ordre du nanogramme par litre (ng/l) ou du microgramme par litre (µg/l). Une concentration de 1 ng/l correspond à 1 kg de sucre dissous dans le lac de Bienne !
Les micropolluants sont des résidus de produits chimiques qui nuisent à la faune et à la flore aquatiques, ainsi qu’à la qualité de l’eau potable provenant des lacs. Ce sont des substances organiques ou minérales qui, à des concentrations infimes dans l’eau, l’air ou le sol, peuvent avoir une action toxique ou écotoxique pour tout ou partie des organismes et de l’écosystème. Ils échappent aux traitements actuels appliqués dans les stations d’épuration.
Certains de ces produits sont plus ou moins rapidement dégradables, d’autres ne le sont pas du tout. Parmi eux, on trouve des pesticides, biocides, fongicides, résidus médicamenteux, hormones, hydrocarbures aromatiques polycycliques, produits phytosanitaires, cosmétiques, désinfectants, etc. Ces polluants, qui peuvent affecter de nombreuses espèces, sont essentiellement apportés par les urines et excréments contenus dans les eaux usées, mais ils proviennent aussi de sources diffuses, telles que l’agriculture.
Les effets potentiels des micropolluants sur la santé humaine sont encore mal connus. Plusieurs études montrent cependant, que la contamination des eaux par les pesticides a un effet dévastateur sur la biodiversité aquatique. Un essai à long terme a été effectué dans un lac au Canada; un dosage de 5 ng/l de 17a-éthinylestradiol (principe actif de la pilule contraceptive) à entrainé le déclin total d‘une population de poissons (vairons à grosse tête ) après plusieurs générations. La lutte contre les micropolluants constitue donc un défi majeur pour la protection des eaux.
 
La solution retenue pour le traitement des micropolluants. (Infographie Holinger)
 

Comment les éliminer ?
La législation fédérale oblige les grandes villes à traiter les micropolluants. Deux technologies principales sont disponibles après un traitement classique dans une station d’épuration des eaux usées: l’oxydation à l’ozone et l’adsorption sur du charbon actif.
À la STEP de Vidy, des essais pilotes ont été menés depuis 2009 avec pour objectif d’identifier les procédés pertinents pour l’élimination des micropolluants, d’évaluer les conditions d’exploitation et d’en déterminer les coûts et les besoins énergétiques. Il est apparu, au terme de ces essais, que, d’une part, l’ozonation puis la filtration sur sable et, d’autre part, l’adsorption sur charbon actif en poudre puis l’ultrafiltration membranaire sont les procédés les plus efficaces et qu’ils permettent d’éliminer, l’un comme l’autre, la plupart des micropolluants.
Suite à ces essais trois entreprises ont été consultées et leurs projets évalués par un collège d’experts internationaux.
 
Le projet d’architecture retenu. Vue le long de l’autoroute.
 

La filière retenue
La filière retenue pour la STEP de Vidy comporte quatre phases.
  • L’ozonisation, qui permet d’éliminer la majorité des micropolluants. Elle a un effet de désinfection sur les virus, notamment, ainsi qu’une action sur les molécules non adsorbables, comme les nitrites.
  • Le traitement au charbon actif, qui permet d’éliminer les micropolluants adsorbables, d’interrompre la réaction d’ozonation et de réduire la teneur en matières en suspension à 5 mg/l, permettant ainsi d’optimiser l’étape suivante (filtration sur sable). Le charbon actif assure également un abattement bactériologique de 0,5 log, ce qui permet de sécuriser la désinfection et de développer l’activité biologique.
  • La filtration sur sable permet de réduire la teneur en matières en suspension à 3 mg/l et de développer une activité biologique (élimination d’éventuels sous-produits). C’est également une barrière de protection physique pour éviter tout départ accidentel de particules fines issues du filtre à charbon actif.
  • La désinfection aux ultraviolets est une garantie contre le risque d’une éventuelle reviviscence bactérienne dans le filtre à sable.
 
Historique
  • 2004 Avant-projet
  • 2009 Réalisation d’essais pilotes pour le traitement des micropolluants
  • 2014 Crédit d’études pour la phase d’étude du projet.
  • Mise à l’enquête publique sans remarque ni opposition.
  • Autorisation d’implantation préalable.
  • 2015 Plan directeur de protection des eaux.
Règlement communal sur l’évacuation et le traitement des eaux.
Création d’une société anonyme pour la réalisation des nouvelles chaînes de traitement et l’exploitation de la STEP.
Octroi d’un droit distinct et permanent de superficie et d’un cautionnement solidaire.
Agrandissement des locaux du laboratoire d’eau-service et achat de nouveaux appareils.
Adjudication des fournitures, du montage et de la mise en service des équipements électromécaniques.
Début des travaux préparatoires.

Epura SA
Créée le 1er septembre 2015, la société Epura SA a pour but de collecter, traiter et épurer les eaux usées provenant des communes du bassin versant de la station d’épuration des eaux de Vidy, à Lausanne, ainsi que de collecter, conditionner, traiter et éliminer les boues d’épuration ou d’autres déchets définis par le plan cantonal vaudois sur la gestion des déchets; la société gère et exploite notamment une station d’épuration des eaux usées à Lausanne; elle peut également gérer et exploiter le réseau d’évacuation des eaux usées et claires des communes qui le lui confieraient. Epura est détenue à 100 % par la commune de Lausanne. Son capital-actions est de CHF 100’000.
Epura SA
1007 Lausanne

L’Union Suisse des Sociétés d’Ingénieurs-Conseils (usic)
L’usic est l’association patronale des entreprises suisses de planification dans le domaine de la construction. Elle représente les intérêts durables de la branche de la planification dans un contexte économique, politique, social et environnemental tendu. Elle encourage l’acceptation publique de projets techniques, s’engage à garantir la qualité des prestations de ses entreprises membres et représente les intérêts de ces dernières auprès des autorités ainsi que des organisations professionnelles et économiques nationales et internationales. L’usic a notamment pour objectif de mieux faire connaître le rôle que sont amenés à jouer les ingénieurs dans l’amélioration de la qualité de la vie et de l’environnement.
usic
3001 Berne
Tél.: 031 970 08 88
www.usic.ch
 
Bibliographie
  • Alerte aux micropolluants. 2011. N. Chèvre, S. Erkman. Le Savoir suisse. PPUR.
  • Micropolluants: essais pilotes à la STEP de Vidy concluants. Office fédéral de l’environnement, 2011
  • Traitement des micropolluants dans les eaux usées. Rapport final sur les essais pilotes à la STEP de Vidy (Lausanne). Office fédéral de l’environnement