La Suisse face à un dilemme économique
De nouvelles barrières commerciales américaines mettent en difficulté les exportateurs helvétiques. Les cantons manufacturiers pourraient être particulièrement touchés, tandis que les experts recommandent des stratégies d’adaptation plutôt qu’une riposte frontale.
L’annonce, début août, d’une taxe douanière de 39 % sur certaines exportations suisses vers les États-Unis a provoqué un vif émoi dans les milieux économiques helvétiques. Cette décision, qualifiée de protectionniste par plusieurs chercheurs, risque d’alourdir considérablement les coûts pour les importateurs américains tout en fragilisant les entreprises exportatrices en Suisse. Face à cette situation, les spécialistes appellent à des mesures de soutien ciblées et à une diversification accrue des marchés.
Une dépendance coûteuse pour la Suisse
Selon Samuel Bendahan, maître de recherche et d’enseignement à HEC Lausanne, la mesure américaine illustre la fragilité d’une économie fortement dépendante de partenaires extérieurs. « La Suisse se retrouve dans une position asymétrique : en valeur absolue, les États-Unis perdent davantage, mais proportionnellement à la taille des économies, c’est la Suisse qui encaisse le choc le plus dur », observe-t-il. Toute mesure de représailles, comme l’instauration de droits de douane équivalents, serait peu efficace compte tenu de l’écart de poids économique entre les deux pays.
Pour lui, trois priorités s’imposent : protéger à court terme les emplois et les entreprises touchées – par exemple via le chômage partiel –, accompagner leur réorientation vers des marchés plus stables, et mettre en place des ripostes « créatives », comme une taxation accrue des géants technologiques ou la révision d’achats stratégiques, notamment dans le domaine de la défense.
Des cantons manufacturiers en première ligne
Une étude menée par Rafael Lalive, professeur d’économie à HEC Lausanne, en collaboration avec Sofia Schroeter (doctorante) et Fabrizio Colella (Université de la Suisse italienne), met en évidence l’impact différencié de la taxe sur le territoire helvétique. Les cantons dont l’industrie repose sur des biens à forte valeur ajoutée – montres, mécanique de précision, aéronautique – comme Neuchâtel, Jura, Soleure, Schaffhouse, Nidwald, Genève ou le Tessin figurent parmi les plus exposés.
À l’inverse, les régions dont l’économie est plus diversifiée (Saint-Gall, Thurgovie, Argovie) ou dominée par les services (Vaud, Berne) devraient être moins affectées. Cette disparité souligne l’importance d’un soutien adapté aux secteurs et régions les plus vulnérables, plutôt qu’une réponse uniforme au niveau national.
Le spectre d’une riposte contre-productive
Si la tentation d’une contre-mesure douanière existe, les économistes appellent à la prudence. L’expérience des restrictions commerciales pendant la pandémie de Covid-19 montre que les limitations unilatérales, bien que coûteuses, pèsent généralement moins que les mesures bilatérales. Une escalade protectionniste risquerait donc d’amplifier les pertes, en réduisant encore davantage les débouchés pour les entreprises suisses.
Plutôt qu’une confrontation frontale, les chercheurs recommandent d’adopter des dispositifs de soutien ciblés, inspirés de ceux mis en place durant la crise sanitaire. Ces mesures permettraient d’amortir l’impact immédiat tout en laissant le temps aux entreprises de s’adapter, dans l’hypothèse où la crise resterait limitée dans sa durée.
Vers une stratégie de long terme
La décision américaine met en lumière un enjeu structurel pour la Suisse : réduire sa vulnérabilité face aux soubresauts de la politique commerciale internationale. Diversifier les marchés d’exportation, renforcer les partenariats avec des économies plus prévisibles et investir dans l’autonomie stratégique apparaissent désormais comme des priorités.
Pour les experts, la crise actuelle peut servir de déclencheur à une réflexion plus large sur la résilience économique du pays. Dans un monde marqué par la montée du protectionnisme, la Suisse devra conjuguer pragmatisme à court terme et vision stratégique à long terme afin de préserver sa compétitivité et l’emploi sur son territoire.