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15 octobre 2017 | La Revue POLYTECHNIQUE 10/2017 | Environnement

Le bois: un matériau polyvalent d’avenir

Amanda Arroyo*

Le bois est robuste et ses utilisations sont variées. Mais même le meilleur des matériaux a ses limites. C’est pourquoi des chercheurs de l’Empa sont en train de transformer le bois en un matériau de haute technologie et d’élargir ainsi le champ d’application de cette ressource naturelle. Leur approche consiste à conférer au bois des propriétés supplémentaires, parfois inattendues.
Il y a des millénaires que l’on s’efforce d’améliorer les propriétés du bois, en le recouvrant de vernis, de peintures ou par d’autres procédés. Les chercheurs de l’équipe d’Ingo Burgert de l’Empa franchissent un pas supplémentaire en utilisant des produits «dopants», qui pénètrent profondément dans le bois et se fixent sur ses différents composants. Ceci modifie non seulement les propriétés du bois en surface, mais aussi au plus profond de ce matériau. Grâce à différents procédés de traitement, Ingo Burgert et ses collègues obtiennent du bois hydrophobe, ignifuge, antibactérien ou même magnétique.
 
Du bois imperméable.
 
 
Du bois imperméable à l’eau
L’eau dégrade le bois et, dans les cas extrêmes, provoque même sa pourriture. C’est non seulement inesthétique, mais cela aboutit, avec le temps, à la destruction du bois. L’équipe d’Ingo Burgert imprègne le bois avec des polymères qui pénètrent jusque dans ses espaces intercellulaires, pour obtenir un produit totalement nouveau: du bois hydrophobe imprégné dans sa totalité.
Les bois tropicaux tels que le teck, sont utilisés à l’extérieur parce qu’ils résistent très bien aux intempéries. Mais ils ne résistent à l’eau que parce que les cellules de leur bois sécrètent des flavonoïdes et des terpènes dans les espaces intercellulaires. Il ne reste alors guère de place pour l’eau dans ces espaces. «C’est ce qui nous a donné l’idée de nos premiers essais», explique Etienne Cabane. Dans un premier temps, ce chercheur et son équipe ont essayé d’inclure davantage de flavonoïdes dans le bois, mais après quelques heures d’immersion dans l’eau, les flavonoïdes se dissolvaient à nouveau parce qu’ils ne se lient pas chimiquement au bois.
Les scientifiques ont alors cherché d’autres substances. Ils ont fait pénétrer dans les espaces intercellulaires, du styrène, la molécule de base du polymère bien connu qu’est le polystyrène. Ils l’ont lié chimiquement avec le bois et polymérisé, rendant ainsi le bois hydrofuge. Le bois naturel devient un composite bois-polymère. «Nous fabriquons actuellement un lavabo», explique Etienne Cabane. Pour cela il découpe le bois en minces couches, les imprègne de polymère et recolle ensuite les couches entre elles – la technique utilisée pour le contreplaqué.
Ce travail de recherche n’est pas encore tout à fait parvenu au but visé. En effet ce groupe de recherche désire s’affranchir des liquides porteurs nocifs. Au lieu de solvants ils veulent à l’avenir utiliser de l’eau ou du dioxyde de carbone supercritique, des produits qui ne sont pas seulement dénués de risques pour la santé mais aussi disponibles en quantités inépuisables – un autre facteur décisif pour la production en masse de bois hydrofuges et pour leur acceptation par les consommateurs.
 
Du bois protégé contre les champignons.
 
 
Du bois protégé contre les champignons
Les attaques par des champignons et des bactéries sont une autre cause d’altération du bois, car celui-ci offre un milieu de culture idéal pour ces micro-organismes. Les lasures et les vernis permettent certes de retarder ces attaques mais il n’est pas rare qu’ils créent de nouveaux problèmes car ils renferment souvent des substances toxiques. Ces substances créent des risques pour la santé lors de la production et de l’application et peuvent aussi être délavées par la pluie ou libérées lors de la décomposition du bois.
Des enzymes tirées de champignons, de bactéries et de plantes rendent le bois résistant aux micro-organismes lignivores et pathogènes. Ces enzymes pourraient s’utiliser pour créer du bois possédant des surfaces antibactériennes pour les hôpitaux et les homes médicalisés, mais aussi pour des façades en bois insensibles aux champignons qui résisteraient plus longtemps même sans verni protecteur.
Les scientifiques se servent d’un procédé biochimique qui utilise une substance qui provient elle-même de champignons. Dans de nombreuses espèces, on trouve des enzymes qui peuvent servir à conférer au bois des propriétés utiles. C’est ainsi que le polypore versicolore, un champignon lignivore largement répandu, produit des enzymes qui peuvent servir à appliquer au bois un «apprêtage» iodé antimicrobien.
Ces enzymes, appelées laccase, servent dans le milieu naturel de catalyseurs pour l’oxydation de composés phénoliques. C’est ainsi que dans les plantes ligneuses, les laccases agissent dans la synthèse et la décomposition de la lignine, un des composants principaux des cellules du bois.
L’idée des chercheurs: dans un environnement «artificiel» la laccase, obtenue à partir de champignons responsables de la pourriture, doit pouvoir servir à fixer par des liaisons covalentes - donc de manière stable – de l’iode à la surface du bois. L’avantage est que cet iode fixé chimiquement résiste au délavage et constitue ainsi une protection durable. Deux essais de longue durée avec du bois iodé viennent de débuter à l’Empa.
 
Du bois résistant au feu.
 
 

Du bois calcifié pour résister au feu
Le bois est apprécié depuis des centaines d’année comme matériau léger et résistant. Il est une matière première renouvelable et recyclable. Son inconvénient: il est combustible. Mais ceci n’est pas une fatalité: une équipe de chercheurs de l’Empa et de l’EPF de Zurich protège le bois en déposant du carbonate de calcium dans sa structure cellulaire. La difficulté est de parvenir à faire pénétrer ce minéral profondément dans la structure du bois. «Si je prends simplement du calcaire et que j’essaie de le faire pénétrer dans le bois, je n’ai aucune chance. La minéralisation, à partir de précurseurs, doit avoir lieu dans le bois lui-même, sinon cela ne fonctionne pas», explique Ingo Burgert.
Pour y parvenir, les chercheurs plongent le bois dans une solution aqueuse d’ester diméthylique de l’acide carbonique et de chlorure de calcium. Le chlorure de calcium est un sel facilement soluble dans l’eau, tout comme l’ester liquide. Ce dernier s’utilise, par exemple, comme solvant «vert». Une fois le bois imprégné jusque dans ses cellules avec ce mélange, les chercheurs font augmenter le pH de la solution jusqu’à ce qu’elle devienne basique par l’adjonction d’une solution de soude caustique. Lorsque le pH du mélange a atteint une certaine valeur, l’ester se décompose en alcool et en CO2, qui commence alors à réagir avec les ions calcium présents dans la solution pour former du carbonate de calcium (CaCO3) qui se dépose au plus profond de la structure cellulaire.

 
Du bois magnétisé.
 
 
Du bois magnétisé
Une équipe de l’Empa est parvenue à introduire des particules d’oxyde de fer dans les cellules du bois et à le rendre ainsi magnétique. Même si ce bois magnétique ne se prête qu’à de petites applications, les premiers partenaires industriels intéressés ont déjà manifesté leur intérêt.
Pour magnétiser un morceau de bois, la chercheuse de l’Empa et de l’EPFZ Vivian Merk le ramollit dans une solution fortement acide de chlorure de fer. Une fois que ce liquide a pénétré profondément dans le bois, elle immerge son échantillon dans une solution fortement basique d’hydroxyde de sodium. Si l’on mélange ces deux réactifs dans une éprouvette, on observe alors un précipité noir dans le liquide. Ces flocons, des nanoparticules d’oxydes de fer, sont magnétiques. Ils sont enfermés dans le bois et y demeurent même si on le délave durant plusieurs jours.
Ces particules magnétiques se présentent sous deux formes différentes – la maghémite et la magnétite. La maghémite, se forme par oxydation à l’air de la magnétite qui est de couleur noire. Les cristaux de maghémite présentent davantage de lacunes, ce qui leur confère une couleur brune. Le bois magnétisé prend ainsi une teinte très foncée.
«Il faut rester réaliste, nous ne parviendrons jamais à traiter ainsi une grosse poutre dans sa totalité», constate cette chercheuse, «le bois magnétique est plutôt destiné à de petites applications». Ce pourrait être des jouets ou des meubles, tels que le tableau magnétique qu’elle réalise actuellement. On peut aussi penser à des applications dans l’industrie automobile, par exemple pour les tableaux de bord qui présenteraient ainsi une fonction supplémentaire intéressante ainsi qu’un aspect noble par leur couleur foncée.

Empa
8600 Dübendorf
Tél.: 058 765 11 11
www.empa.ch

 

* Empa, Dübendorf