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26 août 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 05/2014 | Physique

Le laboratoire chaud fête ses 50 ans

L’lnstitut Paul-Scherrer (PSI) exploite, dans sa partie est, le seul laboratoire suisse de traitement et d’étude des matières hautement radioactives, le laboratoire chaud. L’installation fête ses cinquante ans cette année. Le Forum nucléaire suisse s’est entretenu avec son directeur, Didier Gavillet, sur la situation actuelle et les perspectives d’avenir du laboratoire.

Le laboratoire chaud du PSI, une installation unique en son genre en Suisse, permet d’étudier en toute sécurité les propriétés de substances et de matériaux hautement toxiques et hautement radioactifs. Qu’on le veuille ou non, les matières radioactives occupent une place importante dans le monde actuel, qui se caractérise par un haut degré de technicité. On les utilise en médecine à des fins diagnostiques et thérapeutiques, pour stériliser les denrées alimentaires, pour fabriquer des capteurs, pour étudier les cycles des substances, à des fins de datation et pour produire de l’électricité dans les centrales nucléaires. Leur utilisation a pour corollaire la production de déchets radioactifs, que ce soit dans la recherche fondamentale (accélérateurs de particules), dans les réacteurs nucléaires et les réacteurs de fusion, ou encore dans la médecine et l’industrie.
 
La ligne de cellules chaudes du laboratoire chaud du PSI sert à l’étude de crayons combustibles ainsi qu’au traitement mécanique et à l’analyse de matériaux. Les travaux sont effectués au moyen de systèmes de manipulation actionnés derrière des murs d’un mètre d’épaisseur. (Photo: PSI)

 
M. Gavillet, vous dirigez le laboratoire chaud du PSI. Qu’est-ce qu’un tel laboratoire?
C’est un laboratoire dans lequel on traite et analyse des matières radioactives. Ce type de laboratoire dispose d’installations qui en garantissent un confinement sûr. Il est notamment doté d’un système d’aération qui assure en permanence une dépression dans toutes les salles. Avant d’être relâché dans l’environnement via une cheminée d’aération, l’air du laboratoire est aspiré, filtré et contrôlé radiologiquement. Le laboratoire est, par ailleurs, équipé de différentes enceintes qui permettent de manipuler des matières radioactives en toute sécurité.
 
Qu’est-ce qui distingue le laboratoire chaud du PSI de la cellule chaude du centre de stockage intermédiaire de Zwilag?
La mission de la cellule chaude du centre Zwilag est tout autre. Cette installation est conçue pour le reconditionnement d’assemblages combustibles usés. Par conséquent, le laboratoire chaud du PSI et la cellule chaude du Zwilag, de même que les cellules chaudes de la zone ouest du PSI, n’ont ni les mêmes équipements, ni les mêmes domaines de compétence.
 
Quels sont les travaux effectués au laboratoire chaud et qui vous les confie?
Nous effectuons des analyses scientifiques pour les centrales nucléaires suisses et participons à des projets de recherche dans le cadre desquels nous recevons des matières provenant de réacteurs de recherche et d’accélérateurs. Ces mandats nous viennent de Chine, de Corée du Sud, du Japon, de l’Union européenne, etc.
Nous fournissons notamment aux exploitants des centrales nucléaires suisses, des données sur le comportement de leur combustible. Dans un premier temps, nous étudions les crayons combustibles irradiés de façon non destructive. Au cours d’une deuxième étape, ces crayons sont découpés, et la gaine et les pastilles en sont analysées. Les exploitants ne sont cependant pas les seuls à faire appel à nos services, les fournisseurs de combustible y recourent également. Ces derniers doivent, en effet, apporter la preuve que les nouveaux assemblages combustibles développés par leurs soins se prêtent à une utilisation en centrale nucléaire. Enfin, nous fournissons des données de base pour la validation de calculs.
 
Le laboratoire chaud est-il également utilisé à des fins de formation?
Oui. Nous avons une poignée de doctorants qui y effectuent des recherches expérimentales, soit de façon autonome soit avec l’aide d’usagers expérimentés.
 
Combien de personnes travaillent au laboratoire chaud?
Ma division compte quelque 35 collaborateurs, en majorité des techniciens. Ils sont responsables de l’exploitation du laboratoire et de ses équipements blindés. Ils apportent, en outre, leur concours aux trente à quarante usagers du laboratoire, tant pour des recherches que pour l’analyse scientifique d’échantillons.
 
Comment le laboratoire chaud est-il financé?
Le laboratoire chaud appartient à la Confédération. Celle-ci finance environ un tiers de nos dépenses, par l’intermédiaire du Conseil des EPF et du PSI. Un deuxième tiers est financé par un montant forfaitaire versé par les centrales nucléaires suisses, afin de bénéficier de prestations de services et d’analyses fournies de façon flexible par le laboratoire chaud. Le dernier tiers provient des mandats liés à des projets de recherche ou à d’autres prestations.
 
Les travaux que vous effectuez ne pourraient-ils pas être externalisés à l’étranger? La Suisse a-t-elle vraiment besoin d’un laboratoire chaud sur son territoire?
En principe, les analyses que nous réalisons pourraient aussi être effectuées dans d’autres laboratoires. Mais on peut compter sur les doigts d’une seule main ceux qui, en Europe, seraient capables d’effectuer de telles tâches. De plus, ces laboratoires ont des capacités limitées et les besoins de la Suisse ne figureraient pas forcément au sommet de leurs priorités. L’externalisation de nos prestations entraînerait, en outre, une perte de souplesse et une hausse des coûts de transport.
 
Le laboratoire chaud a obtenu son autorisation d’exploiter en 1964. Son rôle a-t-il évolué au cours des 50 dernières années?
Au début, le laboratoire chaud contribuait aux travaux de recherche sur les matériaux, menés avec les réacteurs de recherche de l’ancien Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs (EIR). Avec la mise en service des centrales nucléaires, les efforts se sont déplacés vers le développement et l’analyse de nouveaux matériaux, branche dans laquelle nous allons continuer à investir. Pour prendre un exemple, l’accident de Fukushima a donné un nouvel élan aux efforts visant à trouver un matériau permettant de remplacer les alliages de zirconium utilisés dans les gaines.
 
Qui assure la surveillance du laboratoire chaud, c’est-à-dire qui détermine s’il remplit les conditions requises en matière de sûreté?
Le laboratoire chaud est une installation nucléaire. A ce titre, il est placé sous la surveillance de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Nous sommes soumis aux mêmes règles que les centrales nucléaires. Néanmoins, les risques potentiels induits par le laboratoire chaud sont nettement moindres. Le centre Zwilag se trouve d’ailleurs dans une situation comparable. La procédure de renouvellement de notre autorisation d’exploitation est actuellement en cours. Comme les centrales nucléaires, le laboratoire chaud dispose d’une autorisation d’exploiter de durée indéterminée et doit présenter tous les dix ans une version actualisée de son rapport de sûreté à l’lFSN.
 
Le laboratoire chaud fête ses cinquante ans d’exploitation cette année. Comment allez-vous célébrer l’événement?
Il est prévu, d’une part, d’organiser une petite fête pour les usagers du laboratoire. D’autre part, nous profiterons de l’édition 2014 de HOTLAB (la conférence des laboratoires chauds qui se tient tous les ans depuis 1963 et aura lieu cette année du 21 au 25 septembre à Baden) pour célébrer ce jubilé.
Didier Gavillet a étudié la physique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Après une thèse à l’EIR (PSI aujourd’hui) sur les effets de l’irradiation sur les matériaux, il a effectué un postdoc à l’Université Northwestern (Etats-Unis) dans le domaine de la recherche sur les matériaux. Il a continué dans ce domaine - avec des recherches sur les matériaux pour réacteurs de fusion - à l’EPFL et au PSI, où il a par la suite pris la direction du groupe Analyse des solides et des surfaces. Depuis 2008, Didier Gavillet dirige la division Laboratoire chaud du PSI, laquelle dépend du Département de recherche Energie nucléaire et sûreté (NES) du PSI.
 
Source: Bulletin du Forum nucléaire suisse 1/2014