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19 avril 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE | Astronomie

Les enseignements des deux lobes d’Arrokoth

Georges Pop

La sonde New Horizons de la NASA a survolé et analysé l’astéroïde Arrokoth, située à plus de 6,6 milliards de km de la Terre, ce qui en fait l’objet le plus lointain jamais observé de près par un engin construit par l’Homme. Ce corps céleste, en forme de patate ou de cacahuète, semble devoir offrir des indices très précieux aux chercheurs, pour comprendre la formation des planètes du Système solaire et trancher entre deux théories concurrentes.
L’astéroïde Arrokoth (2014 MU69), anciennement appelé Ultima Thulé, a été découvert en juin 2014 par la caméra à large champ (WFC3) du télescope spatial Hubble. La NASA cherchait alors un corps de la ceinture de Kuiper adapté au parcours de la sonde New Horizons, lancée huit ans plus tôt à destination de Pluton. La forme de patate, de cacahuète ou encore de bonhomme de neige de l’astéroïde, formé de deux lobes bien distincts d’une longueur totale de 38 km, a aussitôt intrigué les astronomes. En janvier 2019, New Horizons a croisé l’objet à quelque 3500 km de distance et recueilli une grande quantité de données. Après une première analyse de ces observations, trois comptes-rendus ont été publiés au début de cette année, dans la revue Science, sur la formation d’Arrokoth, apparemment emblématique du processus de création des planètes.
 

La forme de l’astéroïde Arrokoth, constitué de deux lobes bien distincts d’une longueur totale de 38 km, a très vite intrigué les astronomes. (© NASA)
 
 
Un vestige intact de la formation su Système solaire
Arrokoth se situe au cœur de la ceinture de Kuiper. Cette région de l’espace, en forme d’anneau, s’étend au-delà de l’orbite de Neptune entre 30 et 55 unités astronomiques (ua). Elle est similaire à la ceinture d’astéroïdes, mais vingt fois plus large qu’elle et, sans doute, plusieurs dizaines de fois plus massive. Comme la ceinture d’astéroïdes, elle est composée d’une myriade de petits corps qui sont autant de restes de la formation du Système solaire. Du fait de son éloignement, l’aspect d’Arrokoth n’a pas évolué depuis des milliards d’années. L’objet représente donc un vestige inaltéré de la formation du Système solaire.

Deux théories sur la formation des planètes
Jusqu’à maintenant, deux théories s’affrontaient sur la formation des planètes. Celle dite de « l’accrétion hiérarchique » postulait que les poussières et les grains de matière s’étaient entrechoqués à grande vitesse, façonnant des corps de plus en plus massifs, notamment les planètes qui auraient, dans cette hypothèse, mis plusieurs millions d’années à se former. La seconde théorie, dite de « l’effondrement gravitationnel », conjecturait, quant à elle, que les gaz et les poussières présents dans une même région de l’espace, s’était assemblés progressivement pour former des objets de plus en plus gros, dans un laps de temps beaucoup plus court, peut-être quelques centaines d’années seulement. Or, les données offertes par l’observation d’Arrokoth semblent plaider pour cette seconde hypothèse !

 

Les observations de la sonde New Horizons, qui a survolé Pluton en juillet 2015, devraient se poursuivre jusqu’en 2025. (© NASA)
 
 

Les indices de « l’effondrement gravitationnel »
Dans une étude de la NASA, publiée par Science, le planétologue William B. McKinnon de l’Université Washington de Saint-Louis, souligne que « l’astéroïde Arrokoth est devenu ce qu’il est parce qu’il s’est formé non pas lors de violentes collisions, mais lors d’une danse complexe, au cours de laquelle la matière qui le compose s’est graduellement mise en orbite avant de s’assembler. »
Un constat que fait également, de son côté, l’astronome Alan Stern, qui dirige le programme New Horizons. Selon lui, « les images prises par la sonde ne montrent aucune trace d’impact violent, aucune fracture. Les deux lobes de l’astéroïde ne semblent pas s’être percutés violemment ». Il remarque que les deux lobes étaient à l’origine deux objets distincts, formés dans le proche voisinage l’un de l’autre, avant de fusionner « lors d’une rencontre qui n’avait rien de brutal ». Les deux morceaux de l’astéroïde sont nés dans la nébuleuse originelle d’où sont issus le Soleil et les planètes, dans un secteur localisé qui a manifestement été le théâtre d’un effondrement gravitationnel.

Présence de méthanol mais absence d’eau
Dans une troisième étude, également publiée par Science, l’astronome Will Grundy de l’Observatoire Lowell, relève, pour sa part, que la surface d’Arrokoth est recouverte de glace de méthanol et de molécules organiques complexes non encore identifiées. Le méthanol se serait, selon lui, synthétisé par l’action des rayons cosmiques sur le mélange de glace d’eau et de méthane présent sur l’astéroïde. Cependant, aucune trace d’eau à l’état pur n’a été identifiée sur Arrokoth dont la température, sur la face non exposée au Soleil, a été mesurée à -244 °C.
De nombreuses données fournies par New Horizons sur Arrokoth (« Ciel » dans la langue des indiens Powhatans) doivent encore être analysées. Elles pourraient fournir de nouvelles informations inédites sur la formation de notre Système solaire. Les observations de la sonde devraient se poursuivre jusqu’en 2025. L’engin aura alors atteint la distance de 50 à 60 ua, à la limite externe de la ceinture de Kuiper, dans une région de l’espace où le survol d’astéroïdes ou de planètes naines semble très peu probable.

Alan Stern
NASA Solar System Exploration
https://alanstern.space/contact/
https://solarsystem.nasa.gov