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21 décembre 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE 10/2018 | Technique médicale

Les exigences des nouveaux règlements RIM et RDIV

Elsbeth Heinzelmann*

Le secteur de la santé et des sciences de la vie croît inexorablement. C’est aujourd’hui une industrie qui pèse plusieurs milliards de dollars. En 2016, les entreprises actives dans ce domaine ont affiché des ventes à hauteur de 140 milliards de dollars et leurs bénéfices ont plus que doublé par rapport à 2010. Les secteurs pharmaceutique, chimique, ainsi que ceux des technologies médicales et du dépistage, sont devenus la principale industrie d’exportation de la Suisse. Et un nombre important de médicaments et de produits de diagnostic homologués renferment des composants biotechnologiques.
Aujourd’hui, la biotechnologie est une industrie multimilliardaire, qui a atteint ses objectifs de rentabilité. En 2016, ce secteur a affiché un chiffre d’affaires annuel de quelque 140 milliards de dollars. C’est plus du double par rapport à 2010 et cette croissance devrait se poursuivre. L’avenir va toutefois mettre des obstacles à ce marché. Les règlementations se sont singulièrement renforcées et les activités sur le front réglementaire se sont accrues, atteignant même leur paroxysme.

Des organisations multinationales sont à la recherche d’étroites collaborations avec des petites et moyennes entreprises (PME), perdant ainsi un peu de l’espace vital nécessaire à l’innovation. Bien qu’on ne puisse faire aucune objection, que ce soit à l’assurance qualité ou au contrôle de la qualité, la question est de savoir si cette règlementation toujours plus stricte va porter un coup fatal à la créativité et à l’esprit d’innovation en Europe.
 
De nouvelles règles – des effets incalculables
La nouvelle règlementation européenne relative aux dispositifs médicaux (RIM) et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (RDIV) est entrée en vigueur le 25 mai 2017, mais plusieurs sociétés concernées par ces changements, ne savent toujours pas à quel saint se vouer! Toutes les entreprises devront respecter les règlements RIM et RDIV, respectivement au 26 mai 2020 et au 26 mai 2022.
En fonction de la classification des risques des produits, le règlement RDIV précise comment les fabricants doivent fournir la preuve de la sécurité de leurs produits, de leurs performances et de leur qualité. De nombreux dispositifs médicaux sont visés par cette nouvelle classification, qui va de la classe A (risque faible) à la classe D (risque le plus élevé). Et de nouvelles exigences, encore plus strictes, vont voir le jour. Comme cette condition sine qua non concernera simultanément plusieurs produits, cela entraînera d’importants retards en raison d’une pénurie de moyens, aussi bien chez les «organismes notifiés» (organismes d’évaluation de la conformité) qui doivent effectuer les évaluations de conformité, que chez l’ensemble des fabricants. Et l’optimisation d’un produit exige du temps et de l’argent.
 
Une situation préoccupante pour les entreprises
Cette situation est particulièrement préoccupante pour les entreprises de dispositifs médicaux de diagnostic. Elles se plaignent que certains de leurs produits passeront de la classe la plus basse (classe A) – là où peu de données sont requises – à la classe D, la classe de risques la plus élevée, là où beaucoup de données doivent être fournies.
La vérité est que les règles actuelles de l’UE (directive 98/79/CE sur les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro) ne reconnaissent pas les dispositifs à haut risque, si bien que ces produits sont classés comme des applications à faible risque, ce qui satisfait les besoins de l’industrie des équipements de diagnostic. En tant que partenaire de l’industrie pharmaceutique, vous pouvez élaborer de tels tests-compagnons plus facilement. Ou, en d’autres termes, compte tenu de la nature du risque, les tests devraient être classés à un niveau considérablement plus élevé, mais le fait qu’ils le sont comme présentant un faible risque, signifie qu’on peut les produire à moindre coût. Les fabricants peuvent donc commercialiser ce type de produits à risques sans l’intervention d’un organisme de contrôle évaluant les données.
 
Un coup d’œil dans les coulisses
Mais même les entreprises qui se sont montrées correctes, jugeront que la situation devient complexe. Prenons un exemple concret et donnons la parole à BÜHLMANN LABS, une entreprise familiale suisse de taille moyenne. En l’espace de quelques années, elle est devenue le principal fournisseur de calprotectine. Thomas Hafen, le PDG de l’entreprise, est de plus en plus préoccupé par le volume croissant de règlements dans l’industrie.
Penchons-nous sur la norme ISO 13485, le système de gestion de la qualité pour les fabricants, destiné aux organisations actives dans le développement et la fabrication de dispositifs médicaux. «Lorsqu’il s’agit de gestion de la qualité et de règlementation, toute personne qui envisage d’être un acteur dans ce domaine, doit gérer son entreprise comme un club de football de la Ligue des champions, même si l’équipe joue dans une ligue inférieure», déclare Thomas Hafen, qui a étudié les affaires internationales à l’Université de Saint-Gall et a travaillé en Suisse pour le Secrétariat d’État à l’économie.
 
Les grandes sociétés jouent le jeu des législateurs
«De grandes sociétés, ainsi que le législateur, placent la barre si haut, que plusieurs PME seront forcées de déposer leur bilan. Les grandes sociétés jouent le jeu des législateurs, parce cela réduit la concurrence et que cela leur apporte des avantages concurrentiels. C’est pourquoi nous voyons, avec le nouveau règlement RDIV – mais également dans d’autres domaines, comme le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals) –, un aspect de la règlementation de l’UE, ou de la politique européenne, pour ne citer que celles-là. Que pouvons-nous faire, étant donné que notre principal marché est l’Europe?», s’inquiète Thomas Hafen.
Les nouveaux règlements vont probablement créer des milliers d’emplois dans le secteur de la règlementation. Thomas Hafen en est consterné: «Qui en fera les frais?» Les experts pensent que près d’un tiers de tous les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DIV) et un tiers de toutes les entreprises de DIV vont disparaître du marché dans les quatre ans, c’est-à-dire d’ici la fin de la période de transition pour le règlement RDIV. «Les entreprises qui survivront seront les plus importantes, celles qui pourront plus facilement en supporter les coûts, grâce à leurs économies d’échelle. Comment pouvons-nous freiner cet excès de zèle règlementaire?»
 
Moins de concurrence, moins de produits novateurs
Que les grandes entreprises cherchent parfois à collaborer avec des PME, parce que – selon leurs propres termes –, elles ne sont plus en mesure de développer des solutions novatrices dans des délais raisonnables, est un autre fait marquant. «Leur propre bureaucratie les écrase!» alerte Thomas Hafen. «En raison de cette situation, le marché des produits de diagnostic et des techniques médicales s’est détérioré. Il y a moins de concurrence et les produits novateurs se font de plus en plus rares.»
De plus, lorsque les multinationales auront poussé les PME hors du marché, tous les produits de niche d’un grand intérêt pour les patients, mais qui n’intéressent pas les grandes entreprises, disparaîtront, au mépris des malades.
 
Des préoccupations partagées par Bruxelles
Thomas Hafen n’est pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. «Le règlement RDIV exige des concepteurs de dispositifs de diagnostic, qu’ils fournissent des preuves démontrant un avantage clinique et qu’ils changent les classifications concernant le renouvellement de la certification des produits», déclare Serge Bernasconi, le PDG de MedTech Europe. «Qui plus est, près de 80 % des produits DIV exigeront, pour la première fois, l’agrément CE délivré par un organisme notifié. Selon le coût de l’obtention de la preuve clinique requise, des sociétés pourraient décider, par exemple, qu’il est plus judicieux de céder un actif que d’investir dans un changement de produit devenu obligatoire. Si les coûts de mise en œuvre des règlements RIM et RDIV sont importants, quelle que soit la taille de l’entreprise, ils sont particulièrement pénalisants pour les plus modestes. Mais ces petits fournisseurs de dispositifs médicaux sont le moteur de l’innovation!», ajoute-t-il.
L’impact est énorme, car ces règlements sont susceptibles d’influencer négativement le financement de l’innovation, prévient Serge Bernasconi: «Les sociétés de capital-risque posent déjà des questions embarrassantes sur la capacité qu’ont les innovateurs des technologies médicales, de développer et de commercialiser leurs produits dans le contexte des nouveaux règlements. Les coûts de mise sur le marché des produits en Europe vont passer à la vitesse supérieure!»
 
Retroussons donc nos manches!
Peter Biedermann, directeur de SWISS MEDTECH et son équipe, ne vont pas rester les bras croisés à observer ce qui se passe. Lors du salon SWISSEXPO, le 28 mars 2018, ils ont organisé la deuxième Conférence nationale sur la règlementation UE, intitulée Impact sur la Suisse. «Des représentants de l’industrie et des utilisateurs ont rencontré des experts des autorités et des organismes notifiés, afin d’analyser les conditions de mise en œuvre de ces règlements, en Europe et en Suisse», explique Peter Biedermann. «Le programme comprenait également des forums de discussion, ainsi que des services d’information. Ce fut une occasion pour les décideurs et dirigeants d’entreprises, d’obtenir et de partager des informations, ainsi que de coopérer activement avec des spécialistes dans ce domaine plutôt complexe», poursuit-il. Afin de garantir son efficacité, SWISS MEDTECH coopère avec quatre agences fédérales, en vue d’organiser des conférences et des discussions ayant pour objectif de supprimer les barrières commerciales.
 
Les changements à venir exigent un esprit d’ouverture
Peter Biedermann bénéficie du fort soutien de Peter Studer, responsable des affaires réglementaires chez SWISS MEDTECH. S’appuyant sur sa vaste expérience, il propose des programmes d’échange, ainsi qu’une coopération entre les PME de ce secteur concernées par la commercialisation de dispositifs médicaux, aussi bien les entreprises du domaine des techniques médicales, que celles du secteur des dispositifs de diagnostic in vitro. «Les changements à venir exigent une approche libre et surtout, un esprit d’ouverture», explique Peter Studer, coordinateur de la Swiss Implementation Task Force. «N’importe qui peut apporter son grain de sel, qu’il s’agisse d’autorités compétentes ou d’organismes notifiés, en particulier les entreprises de biotechnologie et autres acteurs actifs dans les dispositifs médicaux.»
Dans l’étude parue récemment concernant la branche de la technique médicale en Suisse, les personnes interrogées qualifient de plus grand défi, les exigences accrues relatives à la qualité et à la documentation à fournir, ainsi que les autorisations de plus en plus compliquées à obtenir pour l’homologation des produits, résultant avant tout de l’introduction des nouveaux règlements de l’UE sur les dispositifs médicaux et de diagnostic in vitro (RIM/RDIV).
Peter Studer ne mâche pas ses mots: «Maintenant que nous disposons de cette étude et prenons connaissance des réponses des entreprises participatives, nous pouvons établir l’ordre de priorité et focaliser les activités du groupe de travail en se fondant davantage sur des données probantes.» Et il poursuit: «Cette nouvelle règlementation européenne garantira que la transparence des produits continuera d’augmenter – c’est quelque chose que nous devons aujourd’hui à la société. Mais au lieu de se plaindre, nous devrions nous asseoir autour d’une table et réfléchir comment gérer cette situation.» Cela paraît bien optimiste, mais nous allons traverser une période difficile, en particulier pour les petites et moyennes entreprises – et même pour les plus dynamiques d’entre-elles!
 
L’industrie a six à sept ans pour se mettre en conformité
«L’incertitude qui pèse sur les entreprises – les PME en particulier – concernant les règlements RIM/RDIV est compréhensible, car les changements seront considérables», admet Shayesteh Fürst-Ladani, fondatrice et PDG de SFL (Solutions for Life Sciences) à Bâle. Son équipe fournit un support stratégique global aux entreprises pour le développement de produits de santé. «Nous avons participé à des discussions concernant les règlements RIM/RDIV depuis 2010, c’est-à-dire avant la publication des premières ébauches en 2012. De plus amples détails sur ce sujet seront publiés lors de la mise en œuvre des ordonnances, en 2020 pour le RIM et en 2022 pour le RDIV», déclare-t-elle.
Dans certaines circonstances, les dispositifs médicaux et de diagnostic pourront continuer d’être vendus jusqu’en 2024/2025, ce qui laisse à l’industrie six à sept ans pour se mettre en complète conformité avec les nouvelles règlementations applicables dans toute l’Union européenne.
Karin Schulze, responsable des dispositifs médicaux et produits mixtes chez SFL, ajoute: «Les entreprises de dispositifs de diagnostic in vitro, en particulier, se verront confrontées à de sérieux changements, car la reclassification change complètement la donne; on estime que 80 % de leurs produits auront besoin d’un organisme notifié pour obtenir une autorisation de commercialisation.»
 
Voir le changement comme une chance à saisir
«Ces changements concernent tout un chacun», affirme Shayesteh Fürst-Ladani, qui a une grande expérience comme négociatrice de haut niveau, représentant des sociétés dans les réunions avec les législateurs. «Les entreprises doivent se demander si elles souhaitent poursuivre dans ce domaine et, dans l’affirmative, sur quoi leur réussite repose. Ce faisant, à la lumière des évolutions en cours, elles peuvent améliorer leurs procédés et optimiser la gamme de leurs produits, de manière à continuer à offrir leurs prestations aux patients, tout en prenant l’avantage sur leurs concurrents. Plusieurs entreprises ont déjà commencé à évaluer leurs lignes de produits; les PME peuvent y voir une chance. Il est vrai que les nouvelles règles impliquent l’adaptation de la stratégie commerciale et imposeront une nouvelle charge financière, mais la Suisse vit grâce à l’innovation; elle a toujours fait preuve de souplesse et su s’adapter rapidement à de nouvelles situations. Nous pouvons aussi considérer ce changement comme une occasion de promouvoir la nouveauté, tout en nous démarquant des autres marchés», déclare-t-elle en guise de conclusion.
 
Bibliographie
www.bbbiotech.ch/de/bb-biotech/biotech-sektor/sektor-inzahlen/
www.swissmedic.ch: «New ordinances regarding RIM / RDIV»

 
 
Note.Les personnes interrogées ont revu et accepté tous les propos mentionnés dans cet article.

L’étude complète (en allemand) figure sous http://www.swiss-medtech.info/SIT/SMTI_2018_D.pdf


*Journaliste science + technologie, www.thot-com.ch