25 mai 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 03/2020 | Astronomie

Les intrigantes fluctuations de Bételgeuse

Les spéculations vont bon train, depuis la fin de l’année dernière, sur le sort de la supergéante rouge Bételgeuse, dont la luminosité n’a jamais été aussi faible. Les astronomes pensent que cette anomalie pourrait être un signe annonciateur de la mort « imminente », à l’échelle astronomique, de cette étoile massive à l’agonie. Selon eux, l’astre pourrait exploser en supernova d’un moment à l’autre. Mais tous se montrent prudents et rappellent que les changements de luminosité de cette étoile n’ont rien de surprenant, Bételgeuse étant connue pour ses sautes d’humeur.

La dernière observation d’une supernova à l’œil nu remonte au mois d’octobre 1604. Nommé SN 1604, situé dans la constellation du Serpentaire (Ophiuchus), cet astre est resté visible près d’un an. Localisé de nos jours à 20’000 al de la Terre, il fut, peu après sa découverte, baptisé « étoile de Kepler », le célèbre astronome étant l’auteur de l’étude la plus détaillée sur le phénomène. L’apparition d’une supernova visible sans l’aide d’un télescope étant rarissime, il n’est guère surprenant de constater l’effervescence qui s’est emparée des milieux astronomiques, à la vue des récents soubresauts de la supergéante rouge Bételgeuse.

Si elle était à la place du Soleil, Bételgeuse s’étendrait au-delà de l’orbite de Mars et même jusqu’à celle Jupiter, en fonction de ses cycles de dilatation. (© ESO)

Une étoile variable semi-régulière

Betelgeuse, alias α Orionis, est une étoile variable semi-régulière de type spectral M1-2-Ia-Iab. Située dans la constellation d’Orion, sa distance de la Terre a fait l’objet de nombreux calculs discordants. En 2013, le télescope spatial Herschel l’a estimée à quelque 500 al, mais des évaluations plus récentes la situent à plus de 600, voire 700 al. Son rayon étant évalué à environ un millier de rayons solaires, elle est l’une des plus grandes étoiles connues de la Voie lactée. Si elle était située à la place du Soleil, elle s’étendrait au-delà de l’orbite de Mars ou près de celle Jupiter, en fonction de ses cycles de dilatation. Sa masse est sans doute 15 à 20 fois plus importante que celle du Soleil.

Bien que variable, Bételgeuse était, il y a quelques mois encore, l’une des étoiles les plus brillantes du ciel. Dans un rapport publié dans la revue The Astronomer’s Telegram, Edward Guinan, professeur d’astronomie à l’Université de Villanova, près de Philadelphie, constate que la luminosité de Bételgeuse est maintenant 2,5 fois plus faible qu’auparavant. L’étoile, qui était classée au neuvième rang des étoiles les plus brillantes, est passée à la 23^e position. Selon lui, l’explosion de Bételgeuse en supernova peut se produire d’un jour à l’autre ou d’ici 200’000 à 300’000 ans. « C’est une étoile variable, ce qui signifie qu’elle diminue en intensité et rebrille plus fort sur des cycles qui peuvent durer environ 420 jours. Elle a diminué sur une période normale ces derniers mois, mais cela s’est accéléré de façon spectaculaire par rapport à l’année précédente », explique-t-il, avant d’ajouter : « Personnellement, je pense qu’elle va rebondir. Les paris sont ouverts ».

Située à 20’000 al de la Terre, SN 1604, dont on voit ici la rémanence, est la dernière supernova observée à l’œil nu par des humains, il y a plus de quatre siècles. (© NASA)

Une explosion qui pourrait être imminente

Interrogée par la presse spécialisée française, Sylvie Vauclair, astrophysicienne à l’Institut de recherches en Astrophysique et Planétologie (Irap) pense, elle aussi, que la supergéante rouge « a de fortes chances d’exploser ‘prochainement’, à condition d’employer ce terme dans un contexte astronomique. Ce n’est peut-être pas avant 100’000 ans, voire plus ; une paille en comparaison de l’âge de l’Univers, mais une éternité à notre échelle ».

D’autres possibles symptômes d’agonie de l’étoile géante ont été constatés : entre 1993 et 2009, son diamètre a diminué de 15 %, sans que les astrophysiciens n’en comprennent les raisons. Par ailleurs, au mois de janvier dernier, l’interféromètre LIGO a enregistré un sursaut d’ondes gravitationnelles provenant de la direction de Bételgeuse. Mais il pourrait s’agir d’une fausse alerte, selon l’astrophysicien Christopher Berry, spécialiste des ondes gravitationnelles au CIERA (Center for Interdisciplinary Exploration and Research in Astrophysics). « Je suis toujours sceptique à ce sujet, car on les confond facilement avec des signaux parasites. Taux de fausses alertes : un tous les 25 ans », a-t-il écrit dans un tweet.

Une espérance de vie de moins de 10 millions d’années

Seule certitude : une géante rouge comme Bételgeuse évolue très rapidement et finit par mourir par épuisement de son hydrogène, en moins de 10 millions d’années. Tôt ou tard, la familière géante rouge qui dessine l’épaule d’Orion s’effondrera sur elle-même, en une infime fraction de seconde. Dans un éblouissement stellaire, d’une violence inouïe, ses couches externes rebondiront sur son noyau, qui se transformera en étoile à neutrons ou, peut-être, en trou noir. Lorsque ce moment arrivera, Bételgeuse deviendra une supernova de type II, si brillante qu’elle sera visible de la Terre, même en plein jour, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Un moment que Andy Howell, chercheur à l’Observatoire californien de Las Cumbres, espère plus qu’il n’attend. Il explique que « voir Bételgeuse exploser serait bien plus excitant que gagner à la loterie. Chaque jour des gens gagnent à la loterie. Mais il y a 400 ans que les humains n’ont pas vu une supernova dans notre ciel. Je suis l’une des personnes les mieux préparées pour assister à ce spectacle ».

Bételgeuse a d’ailleurs, peut-être, déjà explosé. Si c’est le cas, seul son fantôme rouge-orangé brille encore dans le ciel nocturne, le temps que, demain ou dans quelques siècles, nous parvienne enfin la lumière vive de sa mort violente.

Edward F. Guinan

Department of Astronomy and Astrophysics

Université Villanova

edward.guinan@villanova.edu

Tél. +1 610 519 7010