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29 avril 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 03/2016 | Astrophysique

Les ondes gravitationnelles: une nouvelle porte ouverte sur l’Univers

Michel Giannoni

Si la relativité restreinte, énoncée en 1905 et la relativité générale, formulée dix ans plus tard, font partie des avancées scientifiques majeures du siècle dernier, la détection des ondes gravitationnelles, tout comme la découverte du boson de Higgs, marqueront assurément de leur empreinte l’histoire des sciences du XXIe siècle. Cent ans après la théorie de la relativité générale énoncée par Einstein, une de ses prédictions majeures vient d’être vérifiée; elle donne naissance à l’astronomie gravitationnelle.
L’annonce a fait l’effet d’une bombe. La publication, le 11 février 2016, dans la revue Physical Review Letters, de la détection d’ondes gravitationnelles émises par la fusion de deux trous noirs situés à 1,3 milliard d’années-lumière, a mis le monde scientifique en ébullition.
Cette découverte majeure est l’aboutissement de plus de vingt ans de recherches, conduites par plus d’une centaine d’équipes et d’institutions d’une vingtaine de pays. Elle apporte la pièce manquante dans l’édifice de la théorie de la gravitation d’Einstein. Avec les autres découvertes récentes, comme celle du boson de Higgs et l’observation du fond diffus cosmologique par le satellite Planck, l’histoire des sciences a franchi une nouvelle étape dans la compréhension de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
Depuis plusieurs années, les physiciens s’attendaient à la révélation de ces ondulations qui compriment et dilatent l’espace-temps, et qui devaient confirmer la prédiction d’Albert Einstein datant d’un siècle exactement. C’est chose faite et on ne sait ce qui est le plus extraordinaire: l’incroyable précision des interféromètres géants, avec leurs bras de 4 km, capables de repérer un déplacement de 10-18 m, correspondant au dix-millième du diamètre d’un proton, ou la prodigieuse intuition du génial physicien qui a prédit ce phénomène cent ans avant sa découverte. Cette observation ouvre la voie à une nouvelle astronomie, qui va étudier les trous noirs et les astres compacts, comme les étoiles à neutrons, l’explosion de supernovae, la fusion de galaxies lointaines, par un autre biais que celui des rayonnements électromagnétiques.
C’est la collaboration de trois projets, LIGO aux Etats-Unis, Virgo, un détecteur situé près de Pise, et GEO600, un interféromètre germano-britannique, construit près de Hanovre, qui a permis de réaliser cet exploit; les deux derniers projets n’ont participé qu’indirectement à la découverte.
 
Les signaux reçus par les deux interféromètres LIGO montrent une remarquable concordance (courbes du haut) entre eux, ainsi qu’avec des simulations numériques de la fusion des trous noirs (courbes du bas). En partant de la gauche, on observe les oscillations créées par l’orbite des trous noirs, dont l’amplitude et la fréquence augmentent jusqu’à un pic d’intensité lorsque les trous noirs fusionnent. Le trou noir unique nouvellement formé va alors vibrer pour ajuster sa forme vers une configuration sphérique, d’où la dernière partie du graphe avec ses oscillations plus rapides et décroissant en amplitude. (Illustration: B.P. Abbott et al., Phys. Rev. Lett., doi: 10.1103/PhysRevLett.116.061102)
 

En 1974, une preuve indirecte
Une preuve indirecte de l’existence de ces ondes fut apportée en 1974 par les astrophysiciens américains Joseph Taylor et Russell Hulse, en observant depuis le radiotélescope d’Arecibo à Porto Rico, un pulsar appartenant à un système binaire constitué de deux étoiles à neutrons. Ils obtiendront le Prix Nobel en 1993. En étudiant les émissions radio de ce pulsar, les deux astronomes déterminèrent la période orbitale du couple. Ils se rendirent compte que celle-ci décroissait légèrement, d’un millième de seconde par an. Ce phénomène fut interprété comme la conséquence de l’émission d’ondes gravitationnelles.
 
Le principe de l’interféromètre.(Illustration: LIGO)
 

Une date historique
C’est le 14 septembre 2015, à 11 h 51, que, les deux interféromètres LIGO situés aux Etats-Unis, ont enregistré pour la première fois le passage d’une onde gravitationnelle se déplaçant à la vitesse de la lumière. Les instruments, distants de 3000 km, ont détecté avec 7 millisecondes de décalage, cette infime déformation de l’espace-temps provoquée par les ondes émises lors des sept dernières orbites des deux trous noirs avant leur fusion. Compte tenue de la précision des instruments et après des semaines de vérifications, le signal enregistré ne fait plus aucun doute; en effet, le degré de précision obtenu rend totalement impossible l’explication de la découverte par le seul hasard. L’enregistrement identique des deux observations a, en outre, confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un bruit parasite.
Le signal détecté par LIGO montre que les deux trous noirs qui ont fusionné à une vitesse de 200’000 km/s, (les deux tiers de la vitesse de la lumière), avaient une masse de 29 et de 36 fois celle du Soleil. Leur fusion a formé un nouveau trou noir d’une masse de 62 masses solaires, les trois masses manquantes correspondant à la dissipation sous la forme d’énergie gravitationnelle, selon la fameuse formule d’Einstein qui exprime son équivalent avec la masse (E = mc2). Au cours de cette fusion qui a duré deux dixièmes de seconde, la puissance totale des ondes émises fut équivalente à cinquante fois celle propagée sous forme lumineuse par toutes les étoiles de l’Univers observable !
 
Les lignes de faisceaux du détecteur LIGO situé à Hanford s’étendent dans le désert au sud-ouest de Washington. Chaque bras mesure 4 km. (Photo: LIGO)
 

La preuve de l’existence des trous noirs
Le signal enregistré par les détecteurs a permis une autre avancée majeure: la preuve de l’existence des trous noirs. Ces astres étaient encore hypothétiques, aucune matière ni lumière ne pouvant en sortir.
L’Univers est soumis à la gravité, mais on ne pouvait l’observer qu’au moyen des ondes électromagnétiques (lumière, rayons X, infrarouges, ultraviolets, ondes radio, rayons gamma). Les ondes gravitationnelles, qui ont un pouvoir de pénétration considérablement plus grand que les ondes électromagnétiques, vont permettre aux astronomes de voir des objets qu’ils n’ont jamais vus, parce qu’ils n’émettent pas de lumière, et c’est justement le cas des trous noirs. Jusqu’à hier, les preuves de leur existence étaient indirectes. La découverte des ondes gravitationnelles vient de permettre l’observation de deux trous noirs au moment de leur fusion. Une fusion qui s’est produite à 1,3 milliard d’années-lumière, c’est-à-dire il y a 1,3 milliard d’années !
 
L’interféromètre Virgo se compose de deux bras orthogonaux de 3 km de long. Cet instrument utilise le principe de l’interféromètre de Michelson pour mesurer d’infimes variations de la longueur des bras causées par le passage d’ondes gravitationnelles. (Photo: Virgo)
 

Le projet LIGO
C’est en 2002 qu’ont été mis en service, sur les sites de Livingstone en Louisiane et de Hanford dans l’Etat de Washington, les deux interféromètres du projet américain LIGO (Laser Interferometer Gravitational-waves Observatory). Si ces instruments possèdent des bras de 4 km, la lumière en parcourt 1600 entre le miroir et la séparatrice, car ils sont équipés d’une cavité de Fabry-Perrot, un dispositif dans lequel les rayons lumineux restent confinés grâce à des miroirs sur lesquels ils se réfléchissent. Le faisceau laser effectue quatre cent allers et retours afin de rallonger artificiellement les bras et donc d’améliorer la sensibilité du dispositif.
Pour atteindre la précision requise, il faut que l’installation soit d’une stabilité parfaite. Le faisceau laser de 200 W se déploie dans une enceinte sous vide de 10’000 m3, maintenue à une pression de 10-8 mbar. Il se reflète dans des miroirs de 34 cm de diamètre, pesant 40 kg, protégés de toute perturbation sismique, comme l’éclatement d’un orage, le passage d’un avion ou d’une voiture. Il s’agit de détecter un signal dans un bruit de fond produit par les plus petites imperfections du système et de l’environnement.
 
Le détecteur Virgo
L’interféromètre Virgo, situé près de Pise en Italie, résulte de la collaboration entre cinq pays européens. Sa première période d’observation s’est déroulée entre 2007 et 2011. Il est actuellement dans une phase de mise à jour de sa sensibilité, qui devrait s’achever dans le courant de l’année.
Le détecteur Virgo est constitué d’un laser dont le faisceau dédoublé est dirigé vers deux tunnels perpendiculaires d’un diamètre de 1,2 m et d’une longueur de 3 km chacun. Grâce à un jeu complexe de miroirs, ces faisceaux parcourent un trajet de 150 km environ avant de se recomposer.
 
Les caractéristiques de l’interféromètre Virgo. La cavité de Fabry-Perrot permet de confiner les rayons lumineux grâce à des miroirs sur lesquels ils se réfléchissent. Le faisceau laser effectue plusieurs centaines d’allers et retours afin de rallonger artificiellement le parcours, améliorant ainsi la sensibilité du dispositif. (Illustration: Virgo)
 

Le projet eLISA
Un projet encore plus ambitieux est actuellement à l’étude. Il s’agit de la mission eLISA (evolved Laser Interferometer Space Antenna) de l’Agence spatiale européenne (ESA). Son objectif consiste à envoyer dans l’espace trois satellites équipés de lasers, travaillant de façon coordonnée, destinés à ouvrir une nouvelle fenêtre d’observation sur les ondes gravitationnelles. Cet interféromètre spatial aura des bras gigantesques, d’un million de kilomètres. Un tel système, placé en orbite autour du Soleil, permettra l’étude d’une plus grande variété de phénomènes, ainsi que la détection d’événements beaucoup plus lointains. La mission devrait débuter en 2034.
Afin de tester l’électronique de commande nécessaire au projet eLISA, l’ESA a lancé, le 2 décembre dernier, la sonde spatiale LISA Pathfinder, qui emporte à son bord une technologie de pointe, mise au point par l’EPFZ et l’Université de Zurich.
 
Le graviton: une nouvelle particule ?
Tout comme les ondes électromagnétiques sont associées à une particule, le photon, certains chercheurs pensent que les ondes gravitationnelles, dont l’existence vient d’être confirmée, pourraient, elles aussi, être associées à une particule vecteur: le graviton. Cette particule hypothétique, qui transmettrait la gravité, a été postulée dans le cadre de la théorie de la gravité quantique, qui tente d’unifier la relativité générale, qui s’applique au monde cosmologique, et la physique quantique, qui régit les échelles subatomiques.
 
Que nous réserve l’avenir ?
Les ondes gravitationnelles sont un nouvel outil dont disposent désormais les astrophysiciens pour sonder les mystères de l’Univers. Grâce à elles, ils pourront découvrir des astres qui n’émettent aucune lumière. Les détecteurs LIGO et Virgo vont certainement faire à l’avenir une moisson de nouvelles découvertes. D’autres projets sont en cours, GEO600 en Allemagne, Kagra au Japon, LIGO India en Inde, Tianqin en Chine. Quant au projet eLISA, qui devrait être opérationnel dans une vingtaine d’années, il pourrait apporter sur l’origine de l’Univers, des informations que nous sommes encore loin de pouvoir imaginer.
 
Source: LIGO, Virgo, ESA, CNRS

 
La relativité restreinte
Elaborée par Albert Einstein en 1905, la relativité restreinte est la théorie selon laquelle la vitesse de la lumière dans le vide a la même valeur dans tous les référentiels galiléens. Elle énonce que toute expérience faite dans un référentiel inertiel se déroulerait de manière parfaitement identique dans tout autre référentiel inertiel. Son énoncé sera ensuite modifié par Einstein pour être étendu aux référentiels non inertiels. De «restreinte», la relativité deviendra «générale» et traitera de la gravitation, ce que ne fait pas la relativité restreinte.
 
La relativité générale
La relativité générale est une théorie relativiste de la gravitation. Elle décrit l’influence de la présence de la matière et de l’énergie sur le mouvement des astres. La relativité générale englobe et supplante la théorie de la gravitation universelle d’Isaac Newton, qui en représente la limite aux petites vitesses (comparées à la vitesse de la lumière) et aux champs gravitationnels faibles. Elle est l’œuvre d’Albert Einstein, dont elle est la réalisation majeure; il l’a élaborée entre 1907 et 1915. Le principal aspect de cette théorie est la disparition du concept de force de gravitation. Pour Einstein, le mouvement d’un corps n’est pas déterminé par des forces, mais par la configuration de l’espace-temps.
 
L’espace-temps
L’espace-temps est une représentation mathématique de l’espace et du temps. C’est un espace à quatre dimensions. Ce concept est l’un des grands bouleversements survenus au début du XXe siècle dans le domaine de la physique. Il résulte de la théorie de la relativité d’Einstein et de sa représentation géométrique, qu’est l’espace de Minkowski.
 
Les équations du champ de gravité
Les équations du champ de gravité, publiées par Albert Einstein en 1915, sont les principales équations aux dérivées partielles de la relativité générale. Elles décrivent comment la matière et l’énergie modifient la géométrie de l’espace-temps. Cette courbure de la géométrie autour d’un objet est interprétée comme le champ gravitationnel de cet objet. Le mouvement des objets dans ce champ est décrit par l’équation de sa géodésique.
 
L’espace-temps de la relativité générale est courbe. Plus un astre est massif et dense, plus la courbure de l’espace-temps qui lui est associée est importante et plus il déforme l’espace. (Illustration ESA)