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01 avril 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 01/2020 | Physique

L’interférométrie pour aligner les aimants du HL-LHC

Les géomètres du CERN viennent de mettre au point un système permettant de connaître en temps réel la position de certains composants à l’intérieur des cryostats scellés du futur Grand collisionneur de hadrons à haute luminosité (HL-LHC). Actuellement, seule la position des cryostats peut être déterminée, via des capteurs réalisant des mesures en continu. 

Le projet du Grand collisionneur de hadrons à haute luminosité (HL-LHC) du CERN a pour objectif d’augmenter le nombre de collisions dans le LHC et, par conséquent, la précision des analyses. Depuis plusieurs années, ingénieurs, techniciens et opérateurs imaginent, conçoivent et construisent ses composants, dont certains sont totalement novateurs. Ainsi, un nouveau système permet de connaître en temps réel la position de certains composants à l’intérieur des cryostats scellés du futur HL-LHC.
« Ce nouveau système a été développé spécialement pour le HL-LHC, pour pouvoir connaître directement la position des masses froides au niveau des triplets internes situés de part et d’autre des expériences ATLAS et CMS, ainsi que celle des cavités-crabe à l’intérieur de leur cryostat. Pouvoir contrôler en continu l’alignement de ces composants, notamment au cours des cycles de réchauffement et refroidissement de l’accélérateur, sera un véritable avantage », explique Hélène Mainaud Durand, responsable de l’alignement pour le projet HL-LHC.
 
Un cryostat peut être équipé de douze têtes laser comme celles-ci (les deux dispositifs connectés aux câbles jaunes). En face des têtes laser, douze cibles réfléchissantes sont installées, fixées à la masse froide dans le cryostat. (Image : CERN)
 
 
L’interférométrie à balayage de fréquence

Le nouveau dispositif est basé sur la technique d’interférométrie à balayage de fréquence, un procédé permettant de réaliser simultanément plusieurs mesures de distance absolue entre une tête de mesure et des cibles, puis de les rapporter à une mesure de référence commune. « Avec cette technique, il sera possible, en effectuant douze mesures de distance entre le cryostat et la masse froide, de déduire la position de celle-ci à quelques microns près, par rapport au cryostat », poursuit Hélène Mainaud Durand.
Chaque masse froide sera ainsi équipée de douze cibles, des billes en verre réfléchissantes spécialement développées pour ce dispositif. En face des cibles se trouveront, fixés au cryostat, douze têtes laser connectées à un système d’acquisition laser par fibre optique.
 
Des ingénieurs procèdent aux dernières vérifications sur les cavités-crabe avant leur installation dans le cryostat. (Image : Julien Ordan/CERN)

 


Un faisceau laser divergent a été développé
Bien que l’interférométrie à balayage de fréquence soit une technique communément utilisée en métrologie, son adaptation pour une utilisation dans un environnement cryogénique n’est pas sans poser problème : « Nous avons dû surmonter plusieurs obstacles, posés par les conditions extrêmes rencontrées dans les accélérateurs », souligne Mateusz Sosin, ingénieur en mécatronique en charge de ce développement. « Le premier problème est apparu lors d’un test réalisé à la température cryogénique de 1,9 K (-271,3 °C) sur un dipôle du LHC équipé de ce système. À cette température, les masses froides se contractent et perdent jusqu’à 12 mm, entraînant avec elles nos cibles d’interférométrie, qui ne sont alors plus alignées avec les têtes lasers », ajoute-t-il. Pour contourner le problème, un faisceau laser divergent, autrement dit conique, a été développé, de sorte que, malgré les mouvements de contraction et dilatation, la source reste dans le « feu de son projecteur ».
 
Avec sa circonférence de 7 km, le Supersynchrotron à protons est la plus grande machine du complexe d’accélérateurs du CERN après le LHC. (Image : CERN)
 
 
Les radiations thermiques pour réchauffer les cibles

Le deuxième problème est lié à la condensation. À 1,9 K, les cibles se couvrent d’une fine couche de givre provoquée par la condensation de gaz résiduels, ce qui les rend opaques aux rayons laser. « Sur les conseils de nos collègues de la section cryostat, nous avons décidé d’exploiter les radiations thermiques émises par l’enceinte à vide, pour réchauffer les cibles. Les radiations sont ‘recueillies’ par une plaque en aluminium située sous la cible, ce qui permet de la maintenir à une température juste suffisante pour éviter la condensation. Cette plaque est fixée à un support isolant en résine époxyde, lui-même fixé à la masse froide », explique Mateusz Sosin.
Plusieurs tests ont déjà été menés, notamment sur un prototype de cavités-crabe installé dans le Supersynchrotron à protons (SPS), ainsi que sur un dipôle du LHC. Les derniers essais, en cours actuellement, sont très prometteurs, et les géomètres d’autres laboratoires, notamment le centre de recherche en physique des particules et en rayonnement synchrotron à Hambourg, ainsi que le laboratoire de physique des particules des hautes énergies à Batavia, près de Chicago.
 

Les cavités-crabe
Construites à partir de feuilles de niobium d’une grande pureté, les cavités-crabe ont pour fonction de modifier l’orientation des paquets de protons dans le faisceau. Elles font pivoter les paquets de particules pour accroître la superposition des faisceaux et augmenter la probabilité de collision au cœur des expériences. Ces cavités radiofréquence supraconductrices générant un champ transverse sont des pièces essentielles pour le HL-LHC.
Pour atteindre leur performance nominale, les cavités-crabe fonctionnent à une température de 2 K dans un bain d’hélium superfluide. Contrairement aux cavités RF accélératrices, elles donnent aux paquets de particules une impulsion dépendante du temps dans un plan perpendiculaire à leur déplacement.


Le Supersynchrotron à protons
Avec sa circonférence de 7 km, le Supersynchrotron à protons (SPS) est la plus grande machine du complexe d’accélérateurs après le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Il reçoit ses particules du Synchrotron à protons (PS) et les accélère pour alimenter en faisceaux le LHC et ses différentes expériences. Le Supersynchrotron à protons comporte 1317 électroaimants classiques fonctionnant à la température ambiante, dont 744 dipôles utilisés pour courber les faisceaux à l’intérieur de l’anneau. Il peut atteindre une énergie de 450 GeV. Le dispositif a accéléré beaucoup de particules différentes, notamment des noyaux d’oxygène et de soufre, des électrons, des positons et des antiprotons.
Depuis sa mise en service en 1976, le SPS est un pilier du programme de physique des particules du CERN. Les recherches qu’il a menées ont permis de sonder la structure interne des protons, d’étudier les raisons pour lesquelles la nature préfère la matière à l’antimatière, de reconstituer la matière telle qu’elle aurait pu être dans les premiers instants de l’Univers et de s’intéresser aux formes exotiques de matière. En 1981, le SPS, qui a été transformé en collisionneur proton-antiproton, a permis la découverte en 1983 des particules W et Z, dont les auteurs ont été couronnés du Prix Nobel l’année suivante.

 
 
Anaïs Schaeffer
CERN