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28 février 2021 | La Revue POLYTECHNIQUE | Éditorial

Mais où diable est-elle passée ? (éditorial 2/2021)

Michel Giannoni

À l’instar de l’énigme de la matière noire, celle de la traque de l’anti - matière obsède les scientifiques depuis des décennies. Où donc estelle passée, alors que, selon l’hypothèse d’Andreï Sakharov, il s’en est formé presque autant que de matière après la baryogénèse qui a suivi le Big Bang ? Des expériences menées au CERN vont tenter, dans le courant de cette année, d’élucider ce mystère.

Un premier pas a été franchi grâce à la détection d’une infime différence de comportement entre matière et antimatière, lors de l’expérience de physique des particules T2K (Tokai to Kamioka) menée au Japon. Les chercheurs ont en effet constaté que les neutrinos – ces particules quasiment insaisissables issues des étoiles – oscillent davantage que leurs antiparticules. La révélation de cette différence pourrait permettre de mettre en évidence l’antimatière et d’espérer ainsi la déceler.

Dans ce contexte, les physiciens du CERN avaient réussi à créer, il y a vingt ans déjà, de l’antihydrogène en faisant orbiter des anti - électrons autour d’antiprotons. Mais ces particules s’annihilent immédiatement au contact des nucléons, en se transformant en énergie. Alors pourquoi matière et antimatière ne se sont-elles pas annihilées tout de suite après le Big Bang ?

Peut-être parce que, comme l’a montré l’expérience japonaise, outre leur charge, d’autres propriétés les distinguent, si bien que de l’antimatière pourrait bien se trouver quelque part dans l’Univers. Mais où se cache-t-elle ? La différence d’oscillation entre neutrinos et antineutrinos ne suffit pas à apporter une solution à cette énigme, qui perdure depuis près d’un siècle.

Pourtant, un espoir demeure. En effet, grâce au redémarrage, dans le courant de cette année, du synchrotron à protons et du décélé - rateur d’antiprotons du CERN, trois expériences – Gbar, Alpha-g et Argis – vont tenter de démontrer que l’antimatière – et pas seulement les neutrinos – se comporte différemment de la matière dans un champ gravitationnel, c’est-à-dire qu’elle pourrait être dotée d’une gravité négative. Cet effet répulsif aurait non seulement évité, aux premiers instants de l’Univers, l’annihilation au contact de la matière, il pourrait également résoudre une autre énigme, celle de l’énergie noire, cette force encore mystérieuse qui accélère l’expansion de l’Univers.

C’est donc au cours de cette année, grâce aux travaux des physiciens du CERN, que l’on devrait savoir si cette gravité négative – qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique – est une hypothèse admissible et si elle peut résoudre cette fameuse énigme, qui d’ailleurs n’en est une, que si la conjecture d’Andreï Sakharov est établie.