«La fabrication des appareils numériques nécessite beaucoup de minerais rares», Louise Aubet, analyste chez Reisilio
«Le bilan carbone de la presse numérique est difficile à établir précisément car il dépend de la localisation des data centers, du fait que les données y soient conservées longtemps ou non mais aussi de la durée de lecture et du nombre de partage ou d’impression papier», résume Werner Halter, directeur de Climate Service, entreprise romande spécialisée dans la quantification des émissions de CO2.
A l’heure où ces émissions semblent être devenues la mesure de tout, la presse écrite a parfois mauvaise presse. Les défenseurs de l’environnement lui reprochent sa consommation de papier, dont la production nécessite beaucoup d’eau. Mais, le «quatrième pouvoir», ne pouvant raisonnablement être passé par pertes et profits sur l’autel de l’écologie, certains lui suggèrent régulièrement de passer au tout numérique. Cette révolution culturelle est d’ailleurs emmanchée, mais plus pour des raisons économiques et d’adaptation aux changements d’habitudes du lectorat. Le hic est que le tout numérique n’est pas plus vertueux écologiquement.
Papier recyclé et encres non minérales
Arbres abattus, rotatives énergivores, encres consommées par tonneaux, camions de livraison engrangeant les kilomètres, sur le papier, la presse écrite semble n’avoir que des défauts. Mais ces apparences sont trompeuses. Pour commencer, le papier est souvent recyclé, tout au moins c’est le cas pour Lausanne Cités et GHI. C’est le cas aussi chez La Salamandre qui imprime sur du papier mixte recyclé FSC. «Notre imprimeur est l’un des plus avancés en Europe sur les questions environnementales. Il utilise des encres non minérales ce qui est devenu la norme dans notre secteur. Il est basé à 100 kilomètres seulement de nos locaux. Et nous ne sommes quasi pas présents en kiosque», résume le Valdo-genevois Julien Perrot, fondateur du célèbre magazine animalier.
Mais surtout, un journal papier a une empreinte carbone mesurable et unique. Et un même journal est bien souvent lu par plusieurs personnes. Cerise sur le gâteau, il est recyclable ou va jusqu’à trouver des utilités insoupçonnées en fin de vie: allumer une chaudière, emballer de l’argenterie ou un poisson... Mais redevenons sérieux: lire un même texte sur un écran et bien souvent le partager à divers contacts qui feront peut-être de même, voire l’imprimer, est loin d’être indolore en termes de consommation de ressources. Car chaque lecture requiert un réseau et des centres informatiques bien réels et énergivores. Or, dans le monde, ces infrastructures reposent à 80% sur l’électricité produite à partir de combustibles fossiles et nucléaires.
Deux cent grammes de CO2 au numéro
A contrario, selon la société spécialisée Ecograf, une publication régionale papier telle que la nôtre émettrait 200 grammes d’équivalent CO2 au numéro. Soit l’équivalent de l’envoi d’une dizaine d’emails… On se rappellera aussi qu’acheter un journal revient à alimenter un écosystème économique impliquant de nombreux emplois.
Selon Green IT, le collectif des experts de la sobriété numérique, la part du numérique dans les émissions de gaz représentait 4 % en 2019 et ce chiffre a probablement augmenté depuis, rappelle Louise Aubet, analyste chez Reisilio, une startup lausannoise spécialisée dans l’impact environnemental du numérique. «De plus, la fabrication des appareils numériques, très gourmands en énergie au quotidien, nécessite beaucoup de minerais rares», rappelle Thomas Jacobsen, porte-parole chez Infomaniak.
En résumé, le match opposant le papier au numérique est bien plus serré qu’il n’y paraît. Quand certains préfèrent l’un ou l’autre, la plupart estime que le bilan écologique global est peu ou prou le même.
Exemplaire… mais minoritaire
Infomaniak, fournisseur cloud suisse spécialisé dans l’hébergement web et le développement d’outils de productivité en ligne, est souvent cité en exemple pour ses efforts précurseurs en matière de numérique responsable. «On fait en sorte que nos serveurs, répartis sur trois data centers dans le canton de Genève, aient une durée de vie de 15 ans, car l’achat de serveurs est ce qui émet le plus de CO₂ chez Infomaniak. De plus, ils fonctionnent à l’énergie hydraulique et solaire donc renouvelable. Depuis 2013, Infomaniak ne refroidit plus ses infrastructures avec de la climatisation et notre nouveau data center va plus loin et revalorisera 100% de l’énergie consommée pour chauffer jusqu’à 6 000 ménages», résume Thomas Jacobsen. Mais le porte-parole d’Infomaniak rappelle que ces louables efforts ne sont de loin pas la norme! La grosse majorité des serveurs mondiaux sont alimentés avec de l’énergie fossile, situés dans des locaux climatisés à 100 % et la chaleur qui y est produite part directement dans l’atmosphère. «Le numérique n’est donc pas aussi vertueux qu’on veut bien le croire», conclut le spécialiste.