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19 avril 2021 | La Revue POLYTECHNIQUE | Éditorial

Négliger la langue c’est négliger la science

Michel Giannoni, éditorial de 1999

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire en viennent aisément ». Cette maxime que Boileau énonça voici trois siècles a sans doute perdu de sa valeur, ou doit-on admettre que nos ingénieurs sont de bien piètres concepteurs ?

Appartenant à une génération qui savait encore écrire le français au terme de sa scolarité, je déplore que de nos jours il faille se tourner vers un(e) universitaire ayant fait ses humanités pour trouver une personne apte à rédiger un texte avec clarté, concision et correctement orthographié. Et nous, nous avons encore la chance, contrairement à nos concitoyens germanophones, de parler une langue que nous écrivons et d’écrire une langue que nous parlons !

Quelles sont les causes de ces difficultés, pourquoi les jeunes ingénieurs ont-ils autant de peine à exprimer leurs idées, à présenter leurs projets, à décrire leurs installations ?

L’enseignement et l’éducation sont en crise. Depuis l’avènement de la télévision on lit beaucoup moins, depuis celui de l’informatique on n’écrit plus qu’en style télégraphique ou par « émotigrammes ». Selon une enquête récente, un citadin sur deux a des difficultés à comprendre le sens d’un article de journal, un sur dix est incapable de s’exprimer par écrit.

Le professionnalisme fait trop souvent défaut et le « principe de Peter » continue à faire des ravages. À témoin ce logiciel de traduction dont la publicité vante les mérites par cet exemple : « j’apprends, tu apprends... » traduit par « ich lehre, du lehrst... » ou encore cette traductrice qui se rappelle à mon bon souvenir en me présentant ses vœux agrémentés de superbes fautes d’orthographe.

Tout particulièrement dans notre pays, où l’amalgame des langues est présent dans la vie quotidienne, où il est propagé par la publicité et l’informatique, les barbarismes, contresens, anglicismes, germanismes et néologismes hasardeux ne font que troubler les esprits, ce qui conduit à un abâtardissement de la langue et explique que nous nous contentions d’approximations au lieu de choisir les mots propres, comme le font nos voisins français.

Si la précision et la rigueur sont les qualités fondamentales des ingénieurs, il est évident que celles-ci s’expriment par la langue. Négliger son étude est donc une erreur qui conduit à appauvrir la culture scientifique également. Et n’oublions pas que le français, qui est une langue prestigieuse dont la richesse littéraire et culturelle s’est propagée au cours des siècles, n’est pas une langue figée. Elle continue à se développer, grâce à l’organisation de la « Francophonie » notamment, et demeure la deuxième langue internationale officielle, parlée dans trente-et-un pays. Les initiateurs du « Prix francophone du livre et de la communication en technologie » l’ont bien compris.