Des abonnements
pour l'enrichissement
10 août 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 05/2020 | Physique

Premières mesures d’effets quantiques dans l’antimatière

La collaboration ALPHA du CERN a annoncé avoir effectué les premières mesures de certains effets quantiques dans la structure énergétique de l’antihydrogène, l’équivalent en antimatière de l’hydrogène. L’étude de ces effets quantiques, qui sont connus pour ce qui concerne la matière, pourrait révéler des différences pas encore observées entre le comportement de la matière et celui de l’antimatière.
D’après les résultats présentés dans un article de la revue Nature, les premières mesures de certains effets quantiques dans la structure énergétique de l’antihydrogène concordent avec les prédictions théoriques de ces effets dans l’hydrogène « ordinaire ». Ils ouvrent la voie à des mesures plus précises de ces grandeurs, ainsi que d’autres valeurs fondamentales.
« L’observation d’une différence entre ces deux formes de matière remettrait en cause les fondements du Modèle standard de la physique des particules. Ces nouvelles mesures portent sur des aspects des interactions dans l’antimatière – telles que le déplacement de Lamb – que nous voulions étudier depuis longtemps », souligne Jeffrey Hangst, porte-parole de l’expérience ALPHA. « Notre prochaine tâche consistera à refroidir de grands échantillons d’antihydrogène au moyen de techniques ultramodernes de refroidissement au laser. Ces techniques transformeront les études sur l’antimatière et permettront des comparaisons matière-antimatière d’une précision inégalée », poursuit-il.
L’expérience ALPHA dans la halle du décélérateur d’antiprotons au CERN. (Image : CERN)

Des atomes d’antihydrogène confinés dans un piège magnétique
L’équipe d’ALPHA crée des atomes d’antihydrogène en liant des antiprotons fournis par le décélérateur d’antiprotons du CERN avec des antiélectrons, appelés aussi « positons ». Les atomes d’antihydrogène ainsi produits sont ensuite confinés dans un piège magnétique sous ultravide, qui les empêche d’entrer en contact avec la matière et d’être annihilés. Une lumière laser est alors envoyée sur les atomes d’antihydrogène piégés, ce qui permet de mesurer leur réponse spectrale.

Mesure de la structure fine et du déplacement de Lamb
Cette technique constitue un moyen de mesurer des effets quantiques connus, tels que la structure fine et le déplacement de Lamb, qui correspondent à de minuscules dédoublements dans certains niveaux d’énergie de l’atome. Cette étude permet de mesurer ces effets pour la première fois dans l’atome d’antihydrogène. L’équipe a utilisé précédemment cette approche pour mesurer d’autres effets quantiques dans l’antihydrogène, avec dernièrement une mesure de la transition Lyman-alpha. La raie Lyman-alpha, notée Ly-α, est produite par recombinaison de l’hydrogène ionisé. Elle correspond à la transition électronique de n = 2 à n = 1, n étant le nombre quantique principal de l’atome d’hydrogène.
La structure fine a été mesurée dans l’hydrogène atomique il y a plus d’un siècle ; c’est ce qui a permis l’introduction d’une constante fondamentale de la nature correspondant à l’intensité de l’interaction électromagnétique entre particules élémentaires chargées. Le déplacement de Lamb a été découvert dans le même système il y a environ 70 ans ; il a joué un rôle central dans le développement de l’électrodynamique quantique, qui est la théorie décrivant l’interaction de la matière et de la lumière.
La mesure du déplacement de Lamb, qui a valu à Willis Lamb le prix Nobel de physique en 1955, avait été annoncée en 1947 lors de la fameuse conférence de Shelter Island, qui fut la première occasion, après la guerre, d’une réunion des figures les plus éminentes de la communauté de la physique des États-Unis.
De petits dédoublements dans certaines raies spectrales
La structure fine et le déplacement de Lamb sont de petits dédoublements se produisant dans certaines raies spectrales (niveaux d’énergie) d’un atome. Ces effets peuvent être étudiés par spectroscopie. Le dédoublement en structure fine du deuxième niveau d’énergie de l’hydrogène est une séparation se produisant entre les niveaux dits 2P3/2 et 2P1/2, en l’absence de champ magnétique. Ce dédoublement est produit par l’interaction entre la vitesse de l’électron de l’atome et sa rotation intrinsèque (quantique).
Le déplacement de Lamb « classique » est le dédoublement entre les niveaux 2S1/2 et 2P1/2, également en l’absence d’un champ magnétique. C’est le résultat de l’effet sur l’électron de fluctuations quantiques associées à des photons virtuels se manifestant par intermittence dans un vide.
Dans cette nouvelle étude, l’équipe de recherche d’ALPHA a mesuré le dédoublement en structure fine et le déplacement de Lamb en provoquant, puis en étudiant les transitions entre le niveau d’énergie le plus bas de l’antihydrogène et les niveaux 2P3/2 et 2P1/2 en présence d’un champ magnétique d’un tesla. En s’appuyant sur la valeur de la fréquence d’une transition déjà mesurée précédemment – la transition 1S-2S – et en supposant que certaines interactions quantiques sont valables pour l’antihydrogène, les chercheurs ont déduit de leurs résultats, les valeurs du dédoublement en structure fine et du déplacement de Lamb. Ils ont constaté que les valeurs ainsi déduites concordent avec les prédictions théoriques des dédoublements dans l’hydrogène « ordinaire », avec une marge d’incertitude expérimentale de 2 % pour le dédoublement en structure fine et de 11 % pour le déplacement de Lamb.

CERN
1211 Genève
Tél. 022 767 84 84
www.cern.ch