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Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique
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03 août 2022 | Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique | Criminologie

Recension

Marie-Claude Hertig

Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance

Par Laurent Mucchielli
Ed. Armand Colin, 2018, 228 pp.

 

L’auteur, sociologue, directeur de recherche au CNRS, étudie les effets de la vidéosurveillance en France qu’il compare aux résultats enregistrés dans ce domaine en Angleterre et aux Etats-Unis, principalement à New York. Il regrette l’absence d’évaluation des résultats de la vidéosurveillance par les autorités concernées. Elles achètent le produit sans s’inquiéter de son efficacité qui se révèle très limitée.

La télésurveillance est apparue a la fin des années 40 et a fait alors le bonheur des écrivains de science fiction qui imaginaient un monde couvert de caméras espionnant sans arrêt chaque citoyen, George Orwell en tête avec Big Brother. A la fin du siècle dernier, le monde passe à la vidéosurveillance qui permet l’enregistrement des images en continu. Aux USA et en Angleterre, les autorités en font un large usage partout où il y a danger, puis même là où le risque est nul, ceci dans le cadre d’une politique dite de sécurité. L’objectif est aussi financier, à savoir de diminuer le nombre de policiers en action. Mais y a-t-il vraiment une économie au vu des frais engagés? Le doute est permis.

En ce début de XXIe siècle, les budgets sécurité explosent, les sommes investies donnent le vertige, pour des équipements toujours plus sophistiqués, sauf que, dans la pratique, les succès obtenus grâce à la vidéosurveillance sont quasiment nuls. On tourne autour de 1 %, et encore, la vision d’une attaque ne signifie pas que l’auteur sera reconnu, arrêté, puis condamné. Les objectifs de la vidéo­surveillance sont le contrôle de l’espace public, la régulation du trafic routier, la protection des particuliers dans certains lieux à risque et – but qui est venu s’ajouter ultérieurement – la lutte contre le terrorisme. Malgré l’absence de résultats probants – qu’autorités et politiciens font tout pour ignorer – la France s’est lancée à corps perdu dans des investissements incessants dans ce domaine. Un petit village tranquille a même installé des caméras dans le cimetière et à l’église !

Au lieu de patrouiller dans les rues, la police visionne des écrans 24 heures sur 24. En cas d’agression, on voudrait voir et reconnaître
l’auteur du délit, sauf qu’il a mis une cagoule et des lunettes noires. Le délinquant, de surcroît, connaît les endroits sous surveillance, aussi les lieux du crime se déplacent-ils! Un constat amère découle de l’attentat de Nice un certain 14 juillet où la police n’a même pas vu sur ses écrans l’auteur reconnaître les lieux les jours précédents dans le cadre de la préparation de son méfait.

L’auteur de l’ouvrage présente les effets de la vidéosurveillance dans les espaces publics. Il existe toutefois encore toute une surveillance parallèle, privée, installée par les banques, les commerces, ainsi que les propriétaires de certaines habitations. Les renseignements qu’il a recueillis sont le plus souvent issus d’une vaste enquête dans trois villes du sud du pays, une petite, une moyenne et une grande. A quelques différences près, les résultats, toujours décevants, sont les mêmes. L’auteur se pose ainsi la question de savoir s’il ne serait pas préférable de consacrer cet argent à l’engagement de plus de policiers et assistants sociaux, ainsi qu’à un enseignement scolaire plus performant et efficace permettant de lutter contre la délinquance et le chômage.

A ce stade, un danger menace le public : les caméras de surveillance sur les routes ne seront bientôt plus destinées uniquement à favoriser la fluidité du trafic automobile, mais à détecter les excès de vitesse, l’utilisation de téléphones portables au volant, les dépassements interdits, etc. Les autorités négligeront alors les contrôles liés à la sécurité et à la délinquance en raison des modestes résultats obtenus. La vidéosurveillance a pourtant encore de beaux jours devant elle grâce aux grandes manifestations sportives notamment. Le matériel d’observation continuera de se développer en fonction des progrès de la science. Le citoyen sera ainsi tranquillisé, le politicien à l’abri des critiques et les industriels de la branche rassurés quant à leur avenir.

Big Brother a par ailleurs aussi de beaux jours devant lui grâce au développement fulgurant des drones – contrôles policiers ou jouets ? – qui envahiront inévitablement notre vie privée. Ils feront certainement l’objet d’une prochaine étude. Affaire à suivre.