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12 octobre 2015 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2015 | Chimie

Un détecteur de molécules en graphène

Des chercheurs de l’EPFL et de l’ICFO ont mis au point un dispositif réglable en graphène, permettant une détection ultra précise de nanomolécules telles que des protéines ou des médicaments. C’est l’une des premières fois que les propriétés électroniques et optiques uniques du graphène sont utilisées dans le cadre d’une application.
Connu pour ses propriétés extraordinaires, le graphène fait l’objet d’innombrables recherches fondamentales. Constitué d’une seule couche d’atomes de carbone, il est à la fois léger et robuste, tout en étant un excellent conducteur thermique et électrique. Son potentiel semble sans limites, mais peu d’applications ont été réalisées jusqu’ici.
A l’EPFL, des scientifiques du Laboratoire de systèmes bionanophotoniques (BIOS), en collaboration avec des chercheurs de l’Institute of Photonic Sciences (ICFO) en Espagne, viennent de franchir ce cap. Ils ont exploité les propriétés optiques et électroniques du graphène pour développer un détecteur de molécules ultra précis et réglable, dont la description vient d’être publiée dans la revue Science.
 
© EPFL / Miguel Spuch / Daniel Rodrigo
 
Concentrer la lumière pour une meilleure détection

Les chercheurs ont utilisé le graphène pour améliorer une méthode bien connue de détection de molécules: la spectroscopie par absorption infrarouge. Traditionnellement, on utilise la lumière pour exciter les molécules à analyser, qui vibrent de façon différente selon leur nature, à l’image d’une corde de guitare qui émet différents sons selon sa longueur. Par cette vibration, les molécules trahissent leur présence et signalent leur identité. Cette «signature» peut être «lue» dans la lumière reflétée.
Cette méthode n’est toutefois pas efficace pour détecter des molécules de taille nanométrique. La longueur d’onde du photon infrarouge envoyé sur la molécule est de l’ordre de 6 µm (6000 nm), pour une cible de quelques nanomètres seulement. Il est dès lors très difficile de repérer dans la lumière reflétée, la vibration d’une molécule si petite.
C’est ici que le graphène entre en jeu. Si on le dote d’une géométrie adéquate, il est capable de concentrer la lumière à un endroit précis de sa surface, et d’«entendre» la vibration d’une molécule nanométrique accrochée à sa structure. «Dans un premier temps, nous bombardons le graphène avec des faisceaux d’électrons, et nous y gravons des nanostructures à l’aide d’ions d’oxygène», explique Daniel Rodrigo, co-auteur de la publication. «Lorsque la lumière arrive, les électrons de ces nanostructures se mettent à osciller. Ce phénomène, connu sous le nom de résonance plasmonique de surface localisée, a pour effet de concentrer la lumière en un point lumineux aussi petit que la molécule cible. La détection de structures nanométriques devient alors possible».
 
Reconfigurer le graphène en temps réel pour voir la structure de la molécule
Le dispositif va encore plus loin. En plus de pouvoir identifier la présence et l’identité d’une molécule nanométrique, il est capable de décrire la nature des liaisons entre ses atomes. Il faut savoir qu’une molécule, lorsqu’elle vibre, n’émet pas qu’une seule sorte de «son». Elle comporte toute une gamme de vibrations, générées par les liaisons entre les différents atomes. Si l’on reprend l’exemple de la guitare, on peut dire que chacune des cordes fait partie du même instrument, mais que chacune d’elle vibre différemment. Ces nuances renseignent sur la nature de chaque liaison, et sur la santé de la molécule entière. «Les vibrations permettent de détecter une protéine, par exemple, et de décrire son état de santé», déclare Odeta Limaj, l’une des autres co-auteurs de la publication.
Repérer le son émis par chacune des cordes requiert de pouvoir sonder toute une gamme de fréquences. Un travail que le graphène peut faire. Les chercheurs ont remarqué qu’il était possible de «régler» le graphène sur différentes fréquences en lui appliquant une tension, ce qui est impossible avec les capteurs classiques. Faire osciller les électrons du graphène de différentes manières permet dès lors de «lire» toutes les vibrations de la molécule présente à sa surface. «Nous avons testé le dispositif sur des protéines que nous avons fixées au graphène. Cette méthode nous a donné une carte d’identité complète de cette molécule», précise Hatice Altug.

© Science / EPFL / Miguel Spuch / Daniel Rodrigo

© Science / EPFL / Miguel Spuch / Daniel Rodrigo

 
Un pas important vers l’utilisation du graphène pour la détection
Le nouveau dispositif fait de graphène constitue un pas important pour les chercheurs, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, cette méthode simple montre qu’il est possible d’effectuer une analyse complexe sur un seul dispositif, alors qu’elle requiert d’habitude de multiples procédés différents. Le tout sans stresser ni modifier l’échantillon biologique. D’autre part, elle montre le potentiel incroyable du graphène en matière de détection. «Les applications possibles sont nombreuses», commente Hatice Altug. «Nous nous sommes concentrés sur les biomolécules, mais la méthode devrait fonctionner également pour les polymères, et bien d’autres substances», poursuit-elle.
 
Source: Daniel Rodrigo, Odeta Limaj, Davide Janner, Dordaneh Etezadi, F. Javier García De Abajo, Valerio Pruneri, Hatice Altug, Mid-Infrared Plasmonic Biosensing With Graphene, Science
 
Contact:
Hatice Altug,
EPFL
Tél. 021 693 11 70
hatice.altug@epfl.ch
http://bios.epfl.ch/ http://www.icfo.eu/
http://www.icfo.eu/