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30 septembre 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE | Éditorial

Une découverte majeure – deux énigmes bientôt résolues ? (éditorial 9/2020)

Michel Giannoni

Une découverte capitale vient apporter une pierre à la résolution de deux énigmes qui interpellent la communauté scientifique depuis des décennies : où est passée l’antimatière, alors qu’il s’en est formé autant que de matière lors du Big Bang ? Quelle est la nature de l’énergie sombre, responsable de l’expansion accélérée de l’Univers ?
Des recherches récentes menées au Japon semblent accréditer la thèse, selon laquelle il pourrait y avoir dissymétrie gravitationnelle entre particules et
antiparticules, alors que l’on pensait jusqu’à présent, que seule leur charge les différenciait. C’est lors de l’expérience T2K (Tokai to Kamiokande) réalisée sur un accélérateur de particules nippon, que des physiciens ont mis en évidence, pour la première fois, une infime différence de comportement entre neutrinos et antineutrinos, apportant ainsi la preuve qu’ils n’oscillent pas de la même manière.
L’oscillation des neutrinos se caractérise par le passage d’une famille à l’autre – appelées « saveurs ». Or, les scientifiques de l’expérience T2K ont constaté que les neutrinos oscillent davantage que leurs antiparticules. Pour mieux comprendre ce phénomène, plus de 500 chercheurs appartenant à 60 instituts à travers le monde ont participé à la collaboration T2K. Et c’est après dix ans de recherches qu’ils sont parvenus à détecter cette infime différence d’oscillation.
Ces résultats pourraient avoir des répercussions considérables, aussi bien sur la nature de l’antimatière, que sur l’énergie sombre. Dans ce contexte, trois expériences en cours dans les laboratoires du CERN – AEGIS, ALPHA-g et GBAR – ont pour but d’élucider si l’antimatière se comporte différemment de la matière dans un champ gravitationnel. En observant la chute d’un atome d’antihydrogène, elles tentent de répondre à cette surprenante question : à la différence de la matière qui tombe sur Terre, l’antimatière se précipite-t-elle vers le ciel ?
C’est lors du redémarrage, l’an prochain, du synchrotron à protons qui alimente le LHC, que les physiciens espèrent pouvoir vérifier si la gravité négative existe bel et bien ou si ce n’est qu’une spéculation.
Cette théorie, qui est à l’origine du modèle de Dirac-Milne – selon lequel les antiparticules ont tendance à se disperser dans l’Univers sous l’effet de leur répulsion –, devient chaque année un peu moins invraisemblable.
Et l’enjeu est de taille, car une antimatière dotée d’un gravité négative serait un candidat idéal pour définir la nature de l’énergie sombre. Elle pourrait également élucider le mystère de la disparition de l’antimatière, car cet effet répulsif aurait pu la repousser aux confins du Cosmos, hors de l’Univers dit « observable ». La réponse à ces énigmes paraît à portée de main, aussi la communauté scientifique attend-elle avec impatience les résultats des
expériences qui seront menées au CERN en 2021.