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25 juin 2012 | La Revue POLYTECHNIQUE 06/2012 | Biotechnologie

Une découverte ouvre la voie aux neurosciences prédictives

Des chercheurs de l’EPFL ont découvert des principes qui établissent les liens entre l’expression de certains gènes et les caractéristiques de différents types de neurones. Il sera possible d’utiliser ces informations pour mieux comprendre le rôle des différents gènes dans la régulation du processus de transcription.
Il sera peut-être possible de prédire l’essentiel des structures fondamentales et des fonctions du cerveau, sans pour autant avoir besoin d’en mesurer chaque aspect. Telle est la perspective que laisse entrevoir la découverte des chercheurs de l’EPFL. Le but ultime du Human Brain Project – modéliser le cerveau humain in silico – apparaît dès lors plus proche et réaliste. «C’est une porte qui s’ouvre sur le monde de la biologie prédictive», explique Henry Markram, auteur de l’article publié cette semaine dans la revue scientifique PLoS One.
Dans une colonne corticale – une unité de base du cerveau des mammifères – on trouve peu ou prou 300 sortes de neurones. Cette typologie repose sur leur structure anatomique, ainsi que sur leurs propriétés électriques, lesquelles sont à leur tour déterminées par une certaine combinaison de canaux ioniques qui sont de minuscules pores dans la membrane cellulaire, à travers lesquels passe le courant électrique, permettant la communication entre les neurones.

Comment prédire la combinaison des canaux ioniques dans un neurone
Les scientifiques aimeraient pouvoir prédire quelle combinaison de canaux ioniques présente un neurone, sur la base d’un minimum de données expérimentales. On sait que les gènes sont souvent exprimés ensemble; soit parce que deux gènes partagent un promoteur identique (le promoteur est un segment d’ADN permettant à un gène d’être transcrit et de produire une protéine); soit parce qu’un gène modifie l’activité d’un autre. C’est donc l’expression d’une combinaison de gènes qui nous informe sur les caractéristiques d’un neurone d’un type déterminé. Georges Khazen et ses collègues ont émis l’hypothèse qu’ils pouvaient en extraire des principes permettant de prédire les caractéristiques d’un neurone.
Il y a quelques années, les chercheurs ont utilisé un ensemble de données collectées notamment par Henry Markram. Ils y ont enregistré l’expression de 26 gènes, responsables de la formation des canaux ioniques de différents types de neurones dans le cerveau du rat. Ils disposaient également de données classifiant les types de neurones en fonction de leur morphologie, de leurs propriétés électro-physiologiques et de leur emplacement parmi les six couches anatomiques du cortex. Sur la base de cette unique classification de données, ils ont pu prédire comment se présentent les schémas de canaux ioniques avec un taux d’exactitude de 78 %. En ajoutant aux données de classification un sous-ensemble de données à propos des canaux ioniques, l’exactitude des prédictions se montait à 87 % pour les types de neurones les plus courants.
«Cela démontre qu’il est possible d’établir des principes à partir d’un sous-ensemble, et de les utiliser pour compléter les données», explique Felix Schürmann, l’un des auteurs de l’étude. «En utilisant notre méthode, il pourrait ne plus être nécessaire de mesurer chaque comportement qui vous intéresse dans un neurone». Une fois les principes validés avec un ensemble de données comparables, mais collectées indépendamment, il devient possible de prédire comment sont les canaux ioniques dans un type spécifique de neurones, et ceci uniquement sur la base de sa morphologie, de son comportement électrique et de quelques gènes clés exprimés.

Des informations pour comprendre le rôle de gènes dans la régulation du processus de transcription
Les chercheurs pourront également utiliser ces principes pour mieux comprendre le rôle des différents gènes dans la régulation du processus de transcription. De même, si de tels principes sont applicables aux canaux ioniques, il est alors plus que probable que nous puissions en trouver qui concernent d’autres aspect de l’organisation du cerveau. Par exemple, les chercheurs pensent qu’il sera possible de prédire où les synapses seront les plus susceptibles de se former, en se basant sur la répartition des types de neurones dans le réseau. La connaissance de tels principes pourrait ouvrir l’ère de la biologie prédictive, et accélérer le progrès vers la compréhension comme vers la modélisation du cerveau.

Référence:
Khazen G., Hill SL., Schürmann F., Markram H. (2012) Combinatorial Expression Rules of Ion Channel Genes in Juvenile Rat (Rattus norvegicus) Neocortical Neurons. PLoS ONE 7(4).