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02 octobre 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 06/2020 | Cosmologie

Une solution au mystère de l’expansion de l’Univers

En proposant que l’Univers ne soit pas parfaitement homogène à grande échelle, un chercheur de l’Université de Genève apporte une réponse à une controverse scientifique autour de sa vitesse d’expansion.
La Terre, le Système solaire, la Voie lactée, ainsi que les quelque milliers de galaxies les plus proches de nous évoluent dans une vaste « bulle » de 250 millions d’années-lumière de diamètre, dans laquelle la densité moyenne de matière est moitié plus faible que celle du reste de l’Univers. Telle est l’hypothèse proposée par un physicien théoricien de l’Université de Genève (UNIGE) pour résoudre un casse-tête qui divise la communauté scientifique depuis une décennie : quelle est la vitesse d’expansion de l’Univers ?
Jusqu’à présent, au moins deux méthodes de calcul indépendantes parvenaient à deux valeurs qui diffèrent d’environ 10 % et dont l’écart est statistiquement irréconciliable. L’approche, présentée dans la revue Physics Letters B, permet de gommer cette divergence et ce, sans faire appel à une quelconque « nouvelle physique ».
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Selon le professeur Lucas Lombriser, l’Univers n’est peut-être pas si homogène qu’on le prétend, ce qui apporterait une réponse à une controverse scientifique autour de sa vitesse d’expansion.

 

Les estimations de la constante de Hubble
Depuis le Big Bang survenu il y a 13,8 milliards d’années, l’Univers est en expansion. Le premier à l’avoir suggéré est le chanoine et physi­cien belge Georges Lemaître (1894-1966) ; le premier à l’avoir mis en évidence est Edwin Hubble (1889-1953). Cet astronome américain a découvert, en 1929, que toutes les galaxies s’éloignent de nous et ce, d’autant plus vite que leur distance est grande. Cela suggère qu’il a existé dans le passé, un moment où toutes les galaxies se trouvaient au même endroit, un moment qui ne peut correspondre qu’au Big bang.
De ces travaux sont issues la loi dite de Lemaître-Hubble, ainsi que la constante de Hubble (H0) qui représente le taux d’expansion de l’Univers. Les meilleures estimations de cette constante se situent actuellement à environ 70 km·s-1·Mpc-1, ce qui signifie que l’Univers s’étend de 70 km/s plus vite tous les 3,26 millions d’années-lumière. Le problème, c’est que deux méthodes de calcul s’opposent.Deux méthodes de calcul incompatibles
La première méthode de calcul est basée sur le fond diffus cosmologique, ce rayonne­ment micro-onde qui nous vient de partout et qui a été émis quelque 370’000 ans après le Big Bang, au mo­ment où l’Univers est devenu assez froid pour que la lumière puisse y circuler librement. À partir de ces données précises fournies par la mission spatiale Planck, compte tenu du fait que l’Univers est homogène et isotrope et en uti­lisant la théorie de la relativité générale d’Einstein pour dérouler le scénario, on obtient pour H0 la valeur de 67,4.
La seconde méthode de calcul se base sur les supernovæ qui apparaissent sporadiquement dans les galaxies lointaines. Ces événements extrêmement lumineux résultant de l’implosion d’une étoile en fin de vie, four­nissent à l’observateur des distances très précises. Cette approche a permis de déterminer une valeur pour H0 de 74.
« Depuis plusieurs années, ces deux valeurs n’ont cessé de gagner en précision, tout en restant différentes l’une de l’autre », explique Lucas Lombriser, professeur au Département de physique théorique de la Faculté des sciences de l’UNIGE. Il n’en fallait pas plus pour provoquer une controverse scientifique et même susciter l’espoir que l’on avait peut-être affaire à une « nouvelle physique ».
Un Univers peut-être pas si homogène
Pour réduire cet écart, Lucas Lombriser a imaginé que l’Univers n’est peut-être pas si homogène qu’on le prétend. Cette affirmation peut paraître évidente à des échelles relativement modestes. Il ne fait aucun doute que la matière est distribuée autrement dans une galaxie qu’en dehors de celle-ci. Il est plus difficile, en revanche, d’imaginer des fluctuations dans la den­sité moyenne de matière calculée sur des volumes des milliers de fois plus grands que ceux d’une galaxie.La « bulle de Hubble »
« Si nous nous trouvions dans une sorte de gigantesque «bulle» dans laquelle la densité de matière serait significativement inférieure à celle que nous connaissons pour l’Univers dans son entier, alors cela aurait des conséquences sur les distances des supernovæ et, finalement, sur la détermination de la constante de Hubble », explique Lucas Lombriser.
Il faudrait seulement que cette « bulle de Hubble » soit assez grande pour englober la galaxie qui sert de référence pour la mesure des distances. En fixant pour cette bulle un diamètre de 250 millions d’années-lumière, le physicien a calculé que si la densité de matière à l’intérieur était de 50 % inférieure à celle du reste de l’Univers, alors on obtiendrait une nouvelle valeur pour la constante de Hubble. Et elle serait en accord avec celle basée sur le fonds diffus cosmolo­gique. « La probabilité qu’il existe une telle fluctuation à cette échelle est de 1 sur 20, voire de 1 sur 5. Ce n’est donc pas un fantasme de théoricien. Il y a beaucoup de régions comme la nôtre dans le vaste Univers », précise le physicien.Lucas Lombriser
Professeur assistant au Département de physique théorique
Faculté des sciences UNIGE
Tél. 022 379 31 41
Lucas.lombriser@unige.ch