Des abonnements
pour l'enrichissement
22 août 2025 | La Revue POLYTECHNIQUE | Économie

Une tour imprimée en 3D s’élève dans les Alpes grisonnes

Mulegns inaugure le plus haut édifice au monde construit par fabrication numérique. Le 19 mai 2025, au col du Julier, un manteau argenté s’est envolé sous l’action d’un hélicoptère, dévoilant un bâtiment hors du commun : la Tour Blanche, ou « Tor Alva ». Avec ses 30 mètres de hauteur, l’édifice établi à Mulegns détient désormais le record mondial de la plus haute construction réalisée par impression 3D en béton.

Fruit de sept années de recherche et de mise au point, la tour est composée de 32 colonnes imprimées par un robot industriel de l’EPF de Zurich. Le procédé, basé sur le dépôt couche par couche d’un mélange de béton, permet d’économiser environ 50 % de matériau par rapport aux techniques conventionnelles. Chaque élément de trois mètres de haut peut être produit en deux heures, acier de renfort inclus, sans recourir au coffrage.

Les colonnes, toutes différentes, présentent des structures internes en nid d’abeilles, conférant à la tour à la fois légèreté et résistance. En tout, plus de 4000 couches de béton ont été déposées. L’ensemble a ensuite été assemblé sur place avec l’aide de grues, donnant naissance à une silhouette évoquant les gâteaux décorés qui rappellent l’histoire des pâtissiers grisons, partis autrefois exercer leur art à travers le monde.

Retards et défis alpins

L’inauguration de l’ouvrage avait initialement été annoncée pour l’été 2024. Mais le chantier a dû composer avec plusieurs obstacles. Les adaptations techniques liées aux évolutions rapides de l’impression 3D ont engendré des retards, tout comme les contraintes climatiques propres à un site situé à près de 1500 mètres d’altitude. Le béton devait en effet répondre à des exigences particulières de résistance et de durabilité dans ce contexte montagnard.

Ces imprévus ont aussi entraîné une hausse des coûts, passés de 4,1 à 4,4 millions de francs. Financé principalement par des dons et des contributions, le projet reste encore partiellement ouvert : la fondation Origen, initiatrice de la Tour Blanche, cherche à réunir environ un demi-million supplémentaire.

Un lieu culturel et une vitrine pour Mulegns

La fondation Origen, connue pour son engagement en faveur de la création contemporaine et de la sauvegarde du patrimoine, voit dans « Tor Alva » plus qu’une prouesse technique. La salle en coupole, située au sommet, pourra accueillir des représentations culturelles d’une quarantaine de spectateurs.

Pour Mulegns, petit village de douze habitants, la tour représente aussi une chance de revitalisation. Les visiteurs, attirés par l’innovation architecturale et les événements programmés, pourraient contribuer à redonner vie à cette localité du col du Julier. L’accès à la tour est toutefois payant : 100 francs par visite, un tarif qui inclut le transport public aller-retour depuis une station des Grisons.

Un rayonnement au-delà des Alpes

L’édifice a rapidement retenu l’attention des médias internationaux. Des publications comme Forbes ou encore le magazine allemand Baukunst ont souligné l’alliance entre innovation technologique et ambition culturelle. Ce dernier évoque même une « nouvelle esthétique rendue possible par la fabrication numérique », mettant en avant le jeu de lumière et d’ombre permis par les formes complexes de la structure.

Dans le sillage de ce succès, la fondation Origen prévoit de renforcer la présence de Mulegns sur la carte de l’innovation en lançant, en collaboration avec l’EPFZ et des partenaires industriels, un centre de compétences dédié aux technologies de construction numériques. Ce projet vise à transmettre savoirs et pratiques, tant aux professionnels qu’au grand public.

Une œuvre éphémère aux perspectives durables

Si la Tour Blanche incarne aujourd’hui une avancée architecturale, sa présence sur le col du Julier est limitée. Les autorités communales n’autorisent sa présence que pour cinq ans, en tant qu’installation artistique temporaire. Son avenir dépendra donc de son démontage et d’une possible réutilisation.

Les matériaux ont été conçus pour être recyclés, et certains responsables politiques voient dans cette expérience un signal positif. Comme l’a rappelé le président du gouvernement grison Marcus Caduff, l’enjeu environnemental ne se limite pas à la durée de vie de l’ouvrage : l’important est de savoir si les techniques développées pourront accélérer l’adoption de modes de construction plus économes en ressources.

Avec la Tour Blanche, les Alpes grisonnes deviennent ainsi le théâtre d’une double révolution : celle d’une technologie qui redéfinit les contours de l’architecture, et celle d’un village de montagne qui espère retrouver un nouveau souffle grâce à la culture et à l’innovation.